• Le cycle de la vie

    Le cycle de la vie reçoit sa première impulsion des flots mouvants ou de la terre ferme ? Cette première impulsion vient-elle de l’Est ou de l’Ouest ?

    Une jeune femme qui habitait sur une colline dominant la baie de Nagasaki a commencé un nouveau cycle de la vie avec le débarquement d’un marin. Celui qui faisait escale avait le grade de lieutenant de la marine américaine.

    C’était donc l’Occident qui était à l’origine du nouveau cycle de la vie, qu’allait embrasser la jeune femme née au pays du soleil levant.

     

    Le cycle de la vie

     

    Ce conte où se déploient et s’enchevêtrent maints cycles de la vie est un conte musical. L’illustre maestro Giaccomo Puccini a chorégraphié le ballet de ces cycles avec les tonalités du tragique qui lui sont chères.

    Le cycle de la vie est-il comme un tour de piste qui ramène au point de départ et offre une nouvelle chance ?

    Le marin que la jeune femme aimait passionnément et avec qui elle s’est unie légalement, devait rentrer au pays et lui a promis qu’il serait de retour à la prochaine saison de nidification du rouge-gorge. Pendant qu’elle attendait ce retour, le rouge-gorge a refait son nid trois fois à Nagasaki. Aussi a-t-elle demandé à l’ami de celui qu’elle aimait si de l’autre côté de l’Océan, le rouge-gorge mettait trois fois plus de temps pour refaire son nid.

    Le cycle de la vie du passereau au col rouge serait-il trois fois plus long de l’autre côté du Pacifique que de ce côté ? Qu’est-ce qui créait l’impression que le temps s’allongeait sur l’autre rive et provoquait ainsi la confusion chez la jeune femme ? L’absence de nouvelles de la part de l’homme parti ? Ou plutôt le déficit de parole de celui-ci, au sens où il n’a pas du tout tenu parole ?

    La disparité des saisons de nidification du rouge-gorge n’entamait pas chez la jeune femme ni la solidité de son espoir, ni la clarté de sa vision. Faisant abstraction de l’amenuisement des ressources financières, elle disait avec optimisme à sa servante :

    « Senti. – Un bel dì, vedremo

    levarsi un fil di fumo sull’estremo

    confin del mare.

    E poi la nave appare.

    Poi la nave bianca

    Entra nel porto, romba il suo saluto. »

     

    « Écoute. – Un beau jour, nous verrons

    se lever un filet de fumée aux extrêmes

    confins de la mer.

    Et le navire apparaîtra.

    Puis le navire blanc

    entrera dans le port, son salut retentira. »

    C’est l’un des plus beaux airs de l’œuvre de Puccini.

    Dans la perspective du retour rêvé, l’information visuelle précédait l’information sonore : d’abord le filet de fumée, puis la coque blanche et enfin la joyeuse canonnade.

    La rupture du silence dans la réalité a eu lieu avec la visite d’un ami du marin. La cruauté du sort faisait que le visiteur était porteur d’une lettre de rupture. Le marin voulait donc clore le cycle commencé trois ans plus tôt, mais il l’a fait par courrier et par personne interposée. À une absence prolongée, il a ajouté un semblant de présence.

    Le désir de bonheur était si ardent chez la jeune femme que celle-ci interrompait sans arrêt la lecture de la lettre. Pire, elle transformait à son avantage tout ce qui était lu.

     

    Le cycle de la vie

     

    Le cycle épistolaire dans lequel s’était réfugié le marin devenait une succession de quiproquos. Contrarié, agacé, le porteur de la lettre l’a rangée dans sa poche. Manifestement, le cycle épistolaire a été clos prématurément.

    Cette clôture précoce avait-elle un impact sur le déroulement du cycle de la vie pour la jeune femme ? La disparition du premier subterfuge d’interposition a entraîné une accélération du cycle de l’aveu. Le porte-parole s’est résolu à faire surgir le spectre de la désertion du mari.

    Avec clarté, la jeune femme a répondu que son propre cycle de la vie pourrait retrouver sa forme primitive, du temps où elle-même était geisha, ou s’arrêter tout simplement.

    Il restait un seul moyen pour arrêter la désertion du marin : la conscience qu’il était père d’un fils qui l’attendait depuis plus de deux ans.

    L’irruption du jeune protagoniste dans le cycle de la vie où évoluaient ensemble sa mère et son père empêcherait-elle ce cycle de se rompre ?

    Blessée cruellement, la jeune femme a commencé à envisager le pire, c’est-à-dire qu’elle serait contrainte de redevenir geisha pour gagner le pain et le vêtement de son fils.

    Le cycle de la vie est aussi celui de la subsistance matérielle. Jadis, la jeune femme avait grandi dans une famille prospère. Puis un revers de fortune l’avait contrainte à être geisha pour subvenir à ses besoins. Triste période, expérience navrante, souvenir douloureux. Servir le thé, jouer de la musique, chanter, danser, pour apporter du plaisir, qui n’était pas que visuel, à ceux qui avaient payé pour avoir de la compagnie. Offrir son charme, ses charmes, contre son gré, par vile nécessité.

    La jeune femme ne voulait plus renouer avec cet état de servitude. Elle en pleurait de chagrin. Devant le porteur de la mauvaise nouvelle, elle faisait monter cette complainte :

    « E la canzon giuliva e lieta

    in un singhiozzo finirà !

    No, no ! questo mai !

    questo mestier che al disonore porta !

    Morta ! Mai più danzar !

    Piuttosto la mia vita vo’ troncar !

    Ah ! morta ! »

     

    « Et la chanson joyeuse et gaie,

    en un sanglot finira !

    Non, non ! Jamais cela !

    Ce métier qui mène au déshonneur !

    Mourir ! Mais jamais plus danser !

    Plutôt abréger ma vie !

    Ah ! Mourir ! »

    Pour la jeune femme, le cycle de la geisha était définitivement clos et enterré.

    Après ce chant de l’amertume et du désespoir, elle a entendu le canon du port. L’hypothèse de la désertion du mari était ébranlée par la détonation, qui annonçait l’arrivée d’un navire étranger.

     

    Le cycle de la vie

     

    La jeune femme a reconnu la couleur du bateau, puis la bannière étoilée. Elle s’est emparée d’une longue-vue pour obtenir plus de détails. En donnant avec certitude le nom du bateau, si ardemment attendu, l’instrument d’optique fonctionnait comme un trait d’union entre la jeune femme et le cycle distendu de l’Océan. Le dénouement semblait tout proche. Pour la jeune femme, son cycle de la vie bénéficiait soudain d’un regain de vitalité.

    La colline qui dominait le port n’a pas changé. La maison où a eu lieu la nuit d’amour, non plus, au moins de l’extérieur.

     

    Le cycle de la vie

     

     

    Mais à l’intérieur, le cycle de la vie a fait fleurir les tendres années d’un fils né de l’Occident et de l’Extrême-Orient.

    La jeune femme pensait retrouver le marin venu d’ailleurs, tel qu’il était le jour du mariage. C’est pourquoi elle a demandé à sa servante d’inonder la maison avec les fleurs du jardin, quitte à dépouiller tous les arbres.

    Anticiper la chute des pétales, raccourcir le cycle de la sève.

     

    Le cycle de la vie

     

    La joie et l’impatience de la jeune épouse provoquaient une accélération du temps de la nature.

    Après avoir demandé la gaieté pour la maison, elle a demandé la gaieté pour elle-même. Voulant se faire belle pour accueillir son bien-aimé, elle s’est regardée dans un miroir. Et là, elle a vu les ravages causés par trois années passées à attendre.

     

    Le cycle de la vie

     

    À vrai dire, le nombre d’années ne se lisait pas dans le miroir, qui ne donnait qu’une réponse qualitative. L’information quantitative était apportée par la nidification du rouge-gorge, et surtout par l’âge du fils qui a grandi sans avoir connu de père.

    Débordants de confiance, la jeune femme, son fils et la servante se sont installés pour guetter l’apparition de l’homme parti il y a trois ans. L’espoir commençait à renaître. Mais l’attente nocturne serait très longue.

     

    Le cycle de la vie

     

    Entre le début de l’attente nocturne et l’apparition de l’aube, tout se figeait sur scène : et le décor, et les trois personnages. Immobilité qui disait la dureté de l’épreuve, le courage investi, la noblesse d’âme déployée. La transition musicale était assurée par un chœur à bouche fermée (coro a bocca chiusa).

    C’est l’une des trouvailles les plus fabuleuses du répertoire lyrique. Le chant se déroule en gardant la bouche fermée pendant trois minutes. Chant de l’intimité, musique de l’intériorité. On capte l’émanation d’un huis clos.

    La parole dépouillée de son relief évoque l’existence privée de ses stimuli et annonce l’étouffement du cri de douleur.

    C’est le cycle le plus court et le plus ramassé. La parole revient tout de suite à elle-même, dans la plus petite chambre d’écho, qui est sa matrice originelle.

    Prélude du dévoilement de l’instant de vérité.

    On n’accompagne plus de l’extérieur les illusions de la jeune femme. On entre avec douceur dans son univers onirique et l’on vit de l’intérieur le désarroi qui commence à poindre.

    Après le répit de la nuit, l’aube a apporté sa part de cruauté.

    Le marin a gravi la colline, est arrivé jusqu’à la maison, mais n’a pas franchi le seuil. À cause du manque de courage, le cycle des retrouvailles restait inachevé et menaçait même de se rompre.

    La jeune femme a découvert que le marin était venu avec la femme américaine qu’il avait épousée il y a un an, et que ces deux-là voulaient emmener son fils.

    L’irréparable a été commis.

    Non seulement le marin en qui la jeune femme avait cru était un déserteur. En plus, il est revenu pour voler l’enfant du bonheur.

    Le marin a pris la fuite, lui qui n’avait pas tenu parole. Et c’était une parole d’honneur qui le rattrapait et permettait l’achèvement du cycle. En effet, la jeune épouse a donné rendez-vous à l’homme et lui a dit de revenir en personne dans une demi-heure. Ce serait à lui seul qu’elle remettrait leur fils.

    Une demi-heure pour clore un cycle qui durait depuis trois ans !

    La jeune épouse a exigé une présence physique, en chair et en os. Elle ne voulait plus d’une présence virtuelle, qui se manifesterait par l’intermédiaire d’une lettre ou à travers la médiation d’un ami. Il y a trois ans, le cycle de l’amour n’a pas commencé dans un univers virtuel, mais par la fusion de deux présences physiques.

    Après le départ des visiteurs, la jeune femme a pris le couteau paternel, l’a libéré de son étui laqué et a lu l’inscription qui était sur la lame :

    « Con onor muore

    Chi non può serbar vita con onore »

     

    « Que meure avec honneur

    Celui qui ne peut vivre dans l’honneur. »

    En la circonstance, deux cycles étaient imbriqués : celui de la matière et celui de l’esprit.

    La matière agissait par le tranchant de la lame pendant que l’esprit donnait la justification du geste. L’honneur régissait la longueur du cycle de la vie.

    L’objet, dangereux mais précieux, était un legs paternel. Jadis, le père avait à s’en servir sur sa propre personne, sur ordre de l’Empereur.

    L’instrument tranchant est apparu pour la première fois parmi les objets qu’apportait la mariée en guise de dot. Le souvenir du geste paternel était entretenu. La filiation n’a pas été interrompue. Mais l’objet était soustrait à la curiosité du marié grâce au prétexte de la pudeur. À ce moment-là, l’objet, devenu inoffensif, ne semblait pas concerner l’avenir du nouveau couple. C’était le marieur qui a murmuré à l’oreille du marié le récit de l’usage jadis fatal. Comme si le passé ne s’est pas résigné à disparaître complètement.

    Deuxième apparition de la lame : après l’interruption de la lecture de la lettre, c’était encore le marieur qui a eu maille à partir avec l’objet dangereux. Parce que le vilain personnage s’amusait à propager aux quatre vents que le fils était de père inconnu, la jeune femme menaçait de frapper le « crapaud » avec le couteau paternel.

     

    Le cycle de la vie

     

    La lame était encore associée à la nécessité de mettre fin au déshonneur que provoquaient les propos de l’homme médisant. L’interposition de la servante a permis au « crapaud » de sauver sa peau.

    Troisième apparition de la lame : devant la statue de Bouddha, après le départ des visiteurs. L’examen de la lame mettait la jeune femme face à son destin d’épouse.

     

    Le cycle de la vie

     

    La lame servait de miroir. Ce n’était plus le miroir de la veille, qui avait témoigné de la patience sans limite. Le miroir de ce matin disait que le cycle de la confiance est arrivé à son terme.

    À l’heure de l’irréversible, le cycle du métal rigide s’accompagnait de celui de l’étoffe souple. La souplesse du tissu avait un double usage. Employé pour atténuer la cruauté du sort, il accomplissait son cycle protecteur en s’adaptant à l’anatomie de la mère et du fils.

    Premier usage pour le tissu : bander les yeux du fils, que la servante venait de pousser vers la mère pour tenter d’arrêter le geste sacrificiel de celle-ci.

     

    Le cycle de la vie

     

    Le cycle autour de la boîte crânienne, à hauteur des yeux, était une manière de préserver l’innocence et de sauver la pureté.

    Visuellement et moralement, la jeune femme a opéré une dissociation entre deux cycles de la vie : le sien propre et celui de son fils.

    Deuxième usage pour le tissu : s’enrouler autour du cou qu’allait transpercer la lame. Nécessité protocolaire pour assurer la dignité jusqu’à l’instant ultime. Le protocole était explicite :

    « il gran velo bianco le circonda il collo »

     

    « le grand voile blanc lui entoure le cou ».

    La blancheur de l’étoffe témoignait de l’obligation de préserver l’honneur de toute souillure.

    De l’armoire, la jeune femme a tiré le grand voile blanc, qu’elle a ensuite jeté par-dessus le paravent destiné à garantir la solennité et la solitude de l’immolation. Ce n’était qu’après avoir sorti l’étoffe blanche que la jeune femme a pris le couteau paternel, qui était accroché près de l’autel du Bouddha. Donc, chronologiquement, le cycle du tissu a précédé celui du métal pendant les préparatifs du sacrifice.

    Après les adieux déchirants faits à son fils, la jeune femme a disparu derrière l'écran qui protégeait des regards indiscrets ou malveillants.

     

    Le cycle de la vie

     

    En tombant par terre, le couteau a fait retentir le bruit de sa chute. Le grand voile blanc a disparu derrière la cloison qui assurait le respect de la pudeur. Puis il a réapparu autour du coup de celle qui venait de s’immoler, et qui se penchait hors du paravent.

     

    Le cycle de la vie

     

    Le cycle du tissu s’est refermé après celui du métal quand s’est achevée l’immolation.

    Le déroulement du geste sacrificiel montrait que c’était le cycle du tissu qui a encadré celui du métal.

    La jeune femme a clos le cycle de l’honneur en même temps que celui de l’amour sous le regard de Bouddha. C’est-à-dire sous le regard de la tradition.

    En la circonstance, l’instrument et la manière utilisés pour clore le cycle de la vie étaient strictement conformes à la tradition.

    Pourtant, il y a trois, quand le cycle de l’amour venait d’éclore, c’était le cycle de la liberté et du renouveau. Liberté acquise en s’affranchissant de plein gré du culte des ancêtres et du poids de la tradition. Renouveau en adoptant librement le monothéisme du bien-aimé.

    Le cycle de l’amour était celui du libre arbitre, de l’audace et du courage.

    Du courage, il en fallait, parce la nouvelle liberté de la mariée lui valait le reniement immédiat de toute sa famille. Un oncle, qui était bonze, a même fait irruption lors de la cérémonie de mariage pour lancer de terribles imprécations contre la jeune mariée, qu’il considérait comme une renégate impardonnable.

    Le cycle de la spiritualité a commencé par un combat âpre et sans merci. Mais la jeune épouse tenait bon parce que le cycle de l’amour qui venait de s’ouvrir était celui de la pureté.

    Trois ans après, le cycle de l’amour était encore le cycle de la pureté. Une pureté qui refusait catégoriquement d’être souillée par une trahison.

    Le cycle de la pureté faisait de lui un cycle de l’unicité. Pour la jeune épouse, le marin qui a gravi la colline il y a trois ans n’était pas interchangeable.

    Se pourrait-il aussi que ce soit le cycle de la candeur ? La candeur dans la relation à l’être aimé est une forme de bonté. Une bonté qui a permis de ne pas défaillir pendant les trois longues années.

    Nullement candide par rapport au frein de la tradition, la jeune femme ne s’est pas gênée pour dire :

    « Pigri ed obesi

    son gli Dei Giapponesi. »

     

    « Paresseux et obèses,

    voilà comment sont les Dieux Japonais. »

    Ce qui paraissait être de la candeur n’était que l’expression du libre arbitre. En effet, la jeune femme a choisi de se donner entièrement à l’homme qui venait de l’autre côté de l’Océan, de lui faire entièrement confiance. Coup de foudre pour ce qui représentait l’ailleurs. Mais aussi gratitude infinie pour celui qui l’a délivrée de la servitude qu’elle avait vécue du temps où elle était geisha. Il y a trois ans, la jeune femme a pris son destin en mains en exerçant son libre arbitre.

    À présent, son geste sacrificiel était aussi une manifestation du libre arbitre.

    Juste avant la nuit de noces, le marin a exprimé sa tendresse en prononçant ces mots :

    « Mia Butterfly !...come t’han ben nomata

    tenue farfalla... »

     

    « Ma Butterfly...comme ils t’ont bien nommée

    petit papillon menu... »

    Dans sa langue maternelle, la jeune femme s’appelait Cio-Cio-San, qui signifie papillon.

     

    Le cycle de la vie

     

    Occidentalisé, le nom propre est devenu Butterfly. Le marin nouvellement conquis prenait soudain conscience de l’adéquation entre le nom de sa future épouse et l’extrême fragilité de celle-ci.

    La jeune femme, que traversait un pressentiment, a répondu à son futur mari :

    « Dicon che oltre mare

    se cade in man dell’uomo, ogni farfalla

    da uno spillo è trafitta

    ed in tavole infitta ! »

     

    « On m’a dit qu’au-delà des mers

    s’il tombe entre les mains de l’homme, le papillon

    sera percé d’une épingle

    et fixé sur une planche ! »

    De l’autre côté de l’Océan, les lépidoptères meurent par surprise et sont transpercés par le caprice des collectionneurs. Le papillon de Nagasaki n’a pas voulu être la proie d’un chasseur qui la capturerait puis l’épinglerait sur une planche d’entomologiste. Butterfly voulait clore elle-même le cycle de sa vie en usant de son libre arbitre. Elle serait transpercée, non à cause de son inattention ou de sa faiblesse, mais par amour de sa liberté et de sa pureté. Le papillon de Nagasaki a voulu être maître de sa propre fin en décidant de l’instant et de la modalité.

    L’exercice du libre arbitre a conduit au choix d’un départ dans la dignité. Le seul moyen de concrétiser ce choix était de suivre le geste paternel. Le cycle de la nouvelle vie de Cio-Cio-San ne s’est pas terminé par un retour volontaire à la tradition. Il s’est clos comme il avait vu le jour, dans la glorification du libre arbitre et dans la célébration de la pureté.

    Dans le même ordre d’idées, il est légitime de rappeler que la chanson française a ces paroles bien connues :

    " Il faut savoir coûte que coûte

    Garder toute sa dignité

    Et malgré ce qu'il nous en coûte

    S'en aller sans se retourner

    Face au destin qui nous désarme

    Et devant le bonheur perdu..."

    Pendant que le corps chancelant de la jeune femme s’approchait du fils qui avait toujours les yeux bandés, une voix a retenti à l’extérieur de la maison. C’était le marin qui criait : « Butterfly ! Butterfly ! ». Mais c’était trop tard.

    L’homme devait revenir à Nagasaki au printemps qui suivrait le jour de mariage. Le cycle de l’Océan s’est refermé avec deux ans de retard. Malgré cela, une nouvelle chance s’offrait à celui qui n’avait pas tenu parole. Mais il fallait grimper la colline à temps. Et là encore, le marin qui s’est joué de la sincérité de sa jeune épouse, a trouvé le moyen d’arriver en retard.

    Quand l’homme qui se vantait de jouer avec l’amour est entré dans la pièce, le cycle de la vie s’est définitivement clos pour la jeune femme.

    L’histoire de la rencontre de ces deux êtres qui s’étaient aimés passionnément un soir, avait pour décor la colline qui dominait la baie de Nagasaki. Le cycle de la colline avait commencé dans la joie, le chant, la séduction et l’espoir. Pour la jeune femme, il s’est refermé dans les larmes et le sang. Pour le marin, il restait béant à cause du remords.

    La veille du geste sacrificiel, quand tout espoir était encore permis, la jeune femme avait répondu pour son fils, à qui l’ami médiateur avait demandé le nom :

    « Oggi il mio nome è : Dolore. Però

    dite al babbo, scrivendogli, che il giorno

    del suo ritorno

    Gioia, mi chiamerò. »

     

    « Aujourd’hui mon nom est : Douleur. Pourtant

    dites à papa, en lui écrivant, que le jour

    de son retour

    Joie, je m’appellerai. »

    Pour le fils, le cycle de la vie a commencé dans la douleur. Patiemment, celui-ci attendait le jour où il serait rempli d’allégresse. Ce jour n’est pas venu malgré le retour du père. Le retour de la figure paternelle n’a pas transformé la douleur en joie, mais en détresse, en causant l’affaiblissement définitif des bras maternels. Après la disparition de ceux-ci, la première personne qui a offert ses bras au fils et l’a consolé, n’était pas le père mais un étranger, bien que cet étranger soit un ami du père.

    Le marin a raté le rendez-vous fixé par le cycle de la vie de sa jeune épouse. Dans la même défaillance, il demeurait éloigné du cycle de la vie de son fils.

    Le cycle du papillon de Nagasaki s’est achevé non sans avoir fait de la colline qui surplombait le port un nid d’amour, de bonté et de patience. Mais le cycle de la vie menée par le marin était composé de virtualités, d’esquives et de dérobades.

     

    Le cycle de la vie

     

    Dans l’œuvre de Puccini, le cycle en provenance de la mer est celui de l’instabilité, de l’inconstance, de la frivolité, de la promesse non tenue, de la parole sans lendemain.

    À l’inverse, le cycle né de la terre est celui de la fidélité, de la persévérance, de la profondeur, du rêve devenu certitude, de la parole d’honneur.

    Dans son existence, le Zeph a vécu plusieurs cycles. L’un des plus passionnants est le cycle initiatique, qui a emprunté la route des Phocéens. La boucle a duré dix mois, qui ont magnifié le plaisir de l’autonomie.

     

    Le cycle de la vie

     

    À la fin du périple, le Zeph a retrouvé Port Napoléon avec les mêmes pontons, la même grue, la même capitainerie que lorsqu’il était parti. Mais le Zeph n’était plus le même. L’expérience de l’autonomie l’a rendu encore plus prévoyant et responsable.

    Un autre cycle important dans l’existence du Zeph est celui qu’a accompagné Asclépios. L’aventure a commencé au pied d’un escabeau et a duré douze mois. L’exploration était pleine de suspense. À la fin du voyage, le Zeph a retrouvé le même ber. Mais la boucle en compagnie d’Asclépios lui a donné encore plus d’humilité.

    Le cycle de la vie porte inéluctablement l’empreinte de la conscience. Cette conscience peut être active ou défaillante. Selon son degré d’éveil, elle confère au cycle de la vie un manque à gagner ou un bénéfice.

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  • Commentaires

    1
    anne
    Jeudi 22 Novembre 2018 à 00:50

     https://youtu.be/-4dOpvVMfqg

     

      • Jeudi 22 Novembre 2018 à 16:29

        Ce passage est tellement beau !

        Merci Anne...

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