• Le courage de l'authenticité

    Scario, dans le Golfo di Policastro. Le Zeph commençait à se remettre du stress causé par l’errance dans les eaux napolitaines.

    Le retour à la paix de l’esprit permettait un regard plus attentif sur des scènes où régnaient le calme, le contentement, voire le bien-être.

    L’une d’elles a eu lieu au lever du jour, sur le quai situé au Nord-Est, au pied de l’église.

     

    Le courage de l'authenticité

     

     

    Un pêcheur était occupé avec son filet. Il en prenait soin, avec minutie. Le temps ne comptait pas pour lui. Le regard des autres, non plus.

    Son activité lui donnait pleinement satisfaction. Il ne semblait pas envier une autre situation, tant son attitude était sereine.

    Le philosophe français Jean-Paul Sartre a ces mots pour définir l’authenticité :

    « L'authenticité, c'est d'être le même à travers toutes les situations, un projet unique. »

    Le pêcheur de Scario semblait faire de la pêche le projet de sa vie.

     

    Le courage de l'authenticité

     

    Sa concentration extrême défiait la variabilité des saisons et l’humeur changeante des conditions météorologiques.

    Le chasseur d’images était très tenté de voir dans ce spectacle du refus de la dispersion celui de l’authenticité d’une vocation.

    Personnage authentique, le pêcheur de Scario était-il fermé à son environnement ? Aucunement ! Il entendait le vacarme de la mise à l’eau des bateaux voisins, mais ne s’y attardait pas.

     

    Le courage de l'authenticité

     

    Et même, il a très bien senti les manœuvres d’approche du chasseur d’images. Mais le premier a feint d’ignorer la présence du second, pour préserver l’authenticité de l’un et de l’autre.

    Pourquoi l’expression de l’authenticité nécessitait-elle du courage ? Parce que préserver son authenticité, c’était s’opposer au rouleau compresseur de l’uniformisation.

    Il fallait du courage au pêcheur de Scario pour rester fidèle à son choix de vie. Il fallait aussi du courage au chasseur d’images pour résister au piège de la médiocrité et rester cohérent avec ses choix esthétiques.

    Vibo nella Calabria, Marina Stella del Sud. Un marin remettait à neuf un bateau, qui était un Grand Soleil de 52 pieds, et qu’il avait acquis récemment.

     

    Le courage de l'authenticité

     

    Jusque là, rien d’extraordinaire. Ce qui était impressionnant, c’était le soin extrême avec lequel il accomplissait sa tâche. L’homme refaisait le pont en teck, chouchoutait un rêve, construisait une œuvre. Avec patience et agilité, il travaillait le moindre centimètre, polissait la moindre rugosité, se préoccupait du moindre interstice.

     

    Le courage de l'authenticité

     

    Immense labeur, ténacité sans bornes.

    La persévérance était manifeste. Le plaisir aussi ?

    Non pas le plaisir, trop ordinaire, qui s’exprimerait à travers l’exubérance d’une joie, mais le plaisir qui était nourri par la conviction et la volonté.

    Car le marin était absolument déterminé à faire de son voilier un bijou. D’ailleurs, le nom donné au bateau était « Saphir ».

     

    Le courage de l'authenticité

     

     

    L’amour pour la mer et le bateau passait par l’amour d’un travail accompli de ses propres mains. C’était le signe de l’authenticité d’une passion.

    Autre témoignage de cette authenticité : le marin était entièrement absorbé par sa tâche de menuisier et ne se préoccupait nullement des vanités qui se pavanaient sur les pontons. Il a dédié sa vie à un projet, et il demeurait amoureusement cohérent avec ce choix fondamental.

    Le marin semblait encore au printemps de sa vie. Sa ténacité était l’expression d’un courage qui lui permettrait de triompher de l’épreuve du temps.

    Le Zeph souhaite au Saphir une tenue étincelante pour bientôt.

    Ce qui est authentique n’est pas dénué d’intuition, loin de là.

    Intuitivement, le Saphir savait qu’il était l’objet de l’admiration du Zeph. C’est pourquoi, le jour où le Zeph a quitté Vibo pour reprendre la route du Sud, le capitaine du Saphir a dérogé à sa propre règle de la concentration maximale et nous a adressé une salutation très courtoise.

    Gioia Tauro, dernière escale avant le détroit de Messine, dans le sens Nord-Sud.

    Qu’y avait-il d’authentique à Gioia Tauro ?

    L’approche du lieu exhibait de gigantesques structures métalliques, dénuées d’émotions. Il y avait là tout pour vanter l’efficacité d’une industrie, mais apparemment rien qui puisse faire chavirer un cœur humain.

    Le port lui-même n’avait aucune envergure, aucun attrait. À l’heure où nous nous sommes présentés, il semblait désert, comme abandonné.

    Le capitaine a vu une place libre à l’extrémité d’un ponton situé tout au fond du port. C’est là où nous nous sommes amarrés.

     

    Le courage de l'authenticité

     

    À la fin de l’amarrage, un voisin nous a dit que nous pourrions remplir les formalités d’accueil au bureau qui se trouvait à l’autre extrémité du ponton.

    Le bureau faisait partie d’une terrasse panoramique. Du ponton, on y accédait par un immense escalier.

    D’en bas, l’on pouvait voir aisément la devise de ceux qui géraient le lieu. Ils s’auto-proclamaient « Amici del Mare ».

     

    Le courage de l'authenticité

     

    Elle était là, l’authenticité, dans ce sentiment appelé amitié, si souvent invoqué et si peu honoré avec générosité et raffinement.

    Fait-on payer à un ami le gîte et le couvert ? Nullement !

    Les propriétaires de la terrasse panoramique ont vu dans le capitaine du Zeph et le mousse des « Amis de la Mer ». La rencontre sur la terrasse panoramique s’est donc déroulée entre « Amici del Mare », noblement.

    Au capitaine du Zeph, on a offert la gratuité de l’hébergement.

    Au mousse, on a offert de quoi réconforter l’organisme : une bière ou un café, au choix.

    Mais qui était ce « on » ?

    C’était d’abord le directeur du bureau. Il se prénommait Franco.

    Puis, il y avait Enzo, qui voulait actionner le distributeur de boissons pour offrir quelque chose au mousse.

    Ensuite, il y avait Salvatore, qui s’est intéressé aux ascendants du mousse.

    Enfin, il y avait Ferrugio et deux autres Franco, appelés aussi sur la terrasse panoramique pour le clan de l’authenticité soit au grand complet.

    Les voici tous les six, qui ont réservé au Zeph un accueil inattendu et très émouvant :

     

    Le courage de l'authenticité

     

    De gauche à droite, c’était Salvatore, Franco (1), Ferrugio, Franco (le directeur), Franco (2) et Enzo.

    Ébloui, le Zeph a remercié ses hôtes par ce message :

    « Grazie molto per la notte gratis.

    Grazie anche per la birra proposta da Enzo e Salvatore.

    Tutti le sei avete la bontà sulli occhi, sul cuore e sulle mani.

    Arrivederci. »

     

    « Merci beaucoup pour la nuit gratuite.

    Merci aussi pour la bière proposée par Enzo et Salvatore.

    Tous les six, vous avez la bonté dans les yeux, dans le cœur et dans les mains.

    Au revoir. »

    Au pays où la raideur, la rudesse et l’insensibilité du matériau sidérurgique triomphaient, l’authenticité d’une amitié proclamée était une découverte fabuleuse.

    Il y avait authenticité, car l’amitié manifestée n’était pas un vernis, ne relevait d’aucune mode et ne dépendait d’aucune saison.

    Il fallait du courage pour préserver ce trésor de l’authenticité, car cela impliquait de résister à l’appât du gain, à la tentation de remplir les caisses de l’Association, à la pression normative du mercantilisme ambiant.

    Κέρκυρα – ΚΕΡΚΥΡΑ, dans l’archipel ionien. Au cinquième jour de son escale dans le port de pêche, au pied de la Vieille Citadelle, le Zeph a fait la connaissance d’une jolie barque, construite et décorée à l’ancienne, comme au temps où l’on faisait tout à la main, avec passion et patience, avec art et amour.

     

    Le courage de l'authenticité

     

    Concrétisation d’un rêve, célébration d’un « projet de vie », pour reprendre les termes de Jean-Paul Sartre.

    Étymologiquement, le mot français « authentique » vient du grec « αυθεντικός », qui se réfère à la capacité de faire autorité, de manière non controversable.

    Dans le cas de la jolie barque à Κέρκυρα – ΚΕΡΚΥΡΑ, l’élégant déploiement de l’esthétique et la modalité ancestrale de l’exécution faisaient autorité et témoignaient ainsi de l’authenticité d’une vie d’artiste.

    L’artiste marin sciait, rabotait, polissait, peignait, vernissait, incrustait, sertissait avec la seule force de ses muscles, et la finesse de son intelligence.

     

    Le courage de l'authenticité

     

    L’artiste travaillait et dormait à bord, pour être toujours proche de son œuvre. Il faisait corps avec le bois de son bateau pendant la nuit. Et au lever du jour, il suivait l’ombre du mât pour faire la grasse matinée.

     

    Le courage de l'authenticité

     

    Le confort était rustique, cette rusticité était l’une des signatures de l’authenticité. L’homme était dans son élément et savourait sans retenue sa vie authentique.

    L’authenticité est caractérisée par un ancrage interne et durable. Elle se manifeste par l’autonomie et la persévérance. Elle nécessite du courage, car elle a un coût, parfois élevé et douloureux.

    Πλαταριά – ΠΛΑΤΑΡΙΑ, après Κέρκυρα – ΚΕΡΚΥΡΑ, sur la route vers le Golfe Ambracique. Coin des pêcheurs, situé au Nord-Ouest du port. L’une des barques de pêche s’appelait ΑΡΓΩ ΝΗ32.

     

    Le courage de l'authenticité

     

    À bord, un homme à la barbe bien fournie examinait minutieusement toutes les mailles de son filet. Il mettait un temps interminable à dégager chaque créature marine : écrevisse, crabe ou poisson, qui s’était laissée piéger par le filet.

    Aucune hâte. Au contraire, une très grande patience au bout des doigts.

     

    Le courage de l'authenticité

     

    Aucun énervement. Au contraire, une joie non feinte malgré la répétition des gestes.

    L’homme de la mer semblait très à l’aise, parce qu’il était en accord avec lui-même. Il n’enviait personne. La douce lumière qui illuminait son visage montrait que son choix de vie correspondait à quelque chose de profond dans son être.

    C’était le doux visage de l’authenticité.

     

    Le courage de l'authenticité

     

    Personnage authentique. Vocation authentique. Contentement authentique.

    Le pêcheur a laissé le chasseur d’images entièrement libre. La largesse d’esprit et la bonté de cœur sont des manifestations inévitables de l’authenticité.

    Le chasseur d’images a remercié le pêcheur pour le très beau spectacle de l’intériorité. En retour, celui-ci a dit : « Γεια χαρά – ΓΕΙΑ ΧΑΡΑ ! », qui signifiait littéralement : « Santé Joie ! »

    La santé peut être bancale, décadente, moribonde. Ce n’était pas ce que le pêcheur voulait pour le chasseur d’images. Le Grec souhaitait à l’étranger de repartir avec une santé solide, tonique, éclatante !

    Où était la place du courage dans tout cela ?

    En raison de son âge, le pêcheur a sans doute eu sa vocation depuis longtemps, bien avant que la fièvre du mercantilisme ne sévisse sur les rivages grecs. Le pêcheur de Πλαταριά – ΠΛΑΤΑΡΙΑ a résisté à la tentation de la facilité. L’homme a su préserver son ancrage intrinsèque malgré les déferlantes de l’appât du gain.

    Le Zeph fait de l’authenticité sa devise.

    Il y a authenticité quand l’engagement vient du plus profond de l’être. Par définition, l’authenticité n’est ni éphémère, ni temporaire.

    L’authenticité donne du sens. Il faut du courage pour éviter que celui-ci ne soit emporté par le courant de la médiocrité, généré par le consumérisme.

    L’authenticité existe sous tous les cieux, y compris ceux de la Gaule. Le voyage sur les traces d’Ulysse en favorise l’émergence en raison d’un cadre spatio-temporel exceptionnel.

    Pin It

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :