• La musique du Nil

    Le Zeph vient-il d’assister à un concert de musiques du monde ? Cela ne semble pas être le cas. Alors, n’est-il pas en train de confondre le delta du Nil avec celui du Rhône ?

    Certes, là où il a élu domicile, il y a des lotus argentés, étincelants, gigantesques même. Leurs étamines translucides, fouettées par le mistral, créent un bruit assourdissant qui peut rappeler celui des cataractes de la Haute-Égypte.

    Les battements d’ailes de l’aigrette et son glissement sur la surface de l’eau peuvent faire penser à la Basse-Égypte.

     

    La musique du Nil

     

     Son chant rauque peut rappeler la musique des pièces d’eau dans le delta du Nil.

    Quant à l’arbre dont les grappes de fruits font le régal de l’homme et du chameau, le bruissement de son feuillage annonce l’arrivée de la fraîcheur, à Port Napoléon comme sur les berges du Nil, à moins que ne se prépare une tempête de sable. Silhouette caractéristique du Sud, dont la musique, agréable et reposante, accompagne la respiration au bord de l’eau.

    Le Nil fait des clins d’œil au Zeph par le cadre naturel, mais aussi à travers des figures de l’intelligence, de la sensualité et du raffinement.

    Le clin d’œil le plus fameux reçu par le Zeph, en provenance du Nil, est un clin d’œil qui n’a rien à voir ni avec le savoir, ni avec le pouvoir, mais seulement avec la beauté. Beauté exceptionnelle, car il s’agit de l’un des plus beaux visages féminins de l’Antiquité. Clin d’œil royal, car il s’agit de Néfertiti, l’épouse du Pharaon Akhenaton.

    L’éblouissante Néfertiti serait venue en personne jusqu’à Port Napoléon ? C’était tout comme !

     

    La musique du Nil

     

    Le Zeph n’a pas vu l’illustre silhouette dans un musée, mais en plein air, au-dessus des eaux qui baignaient Port Napoléon et les environs. La présence des cordages et des voiles témoigne que la rencontre ne s’est pas produite dans un lieu clos, mais dans l’espace ouvert de la navigation.

    La Reine apportait avec elle la musique de sa cour. Cour, non pas à Thèbes, mais à Amarna, la nouvelle capitale fondée par son époux royal pour le nouveau projet conçu pour l’Égypte. Projet révolutionnaire, car il s’agissait de tourner le dos à la tradition polythéiste et de confier le destin de tout le Royaume à une seule divinité, Aton.

     

    La musique du Nil

     

    Musique de l’intrépidité, du courage, de la confiance, de l’allégresse, de l’exaltation et du triomphe.

     

    La musique du Nil

     

    Dans cette aventure singulière, Néfertiti et Akhenaton étaient inséparables.

    Sans Akhenaton, il n’y aurait pas eu Néfertiti. Sans Néfertiti, il n’y aurait pas eu Akhenaton. Séduction exercée par la souveraine sur son époux royal, mais aussi exercée par celui-ci sur sa bien-aimée.

    Musique de la tendresse, de l’assouvissement.

     

    La musique du Nil

     

    Amour fusionnel, qui faisait qu’en se regardant l’un autre, ils ne formaient plus qu’un seul être.

    Des années plus tard, le Nil était de nouveau le théâtre de l’expression d’un autre amour sans bornes.

    L’oracle avait dit que la mort épargnerait une autre mort. C’est pourquoi celui qui avait reçu l’amour s’est immolé dans le Fleuve pour que l’être qui avait aimé en premier soit sauvé.

    Sauver l’amour, le rendre indestructible.

    Vaincre le temps, même au prix de la mort.

    C’est ainsi qu’Antinoüs a péri dans le Nil pour que vive l’Empereur Hadrien.

    Musique de l’affliction, de l’anéantissement.

    La barque funéraire s’est mise à entreprendre un long voyage sans retour.

     

    La musique du Nil

     

    Quel désastre ! Quelle infortune !

    Impuissance fatidique, contre la volonté du Maître du monde d’alors, malgré l’étendue du pouvoir impérial, en dépit de la richesse du savoir ramassé aux quatre coins de l’Empire.

    Douleur immense quand l’un des deux s’en va avant l’autre.

    Chagrin inconsolable, désespoir infini de l’être qui se retrouvait désormais seul.

    Jadis, être deux pour s’abreuver à la fontaine de la vie.

    Désormais, n’être plus qu’un pour entonner le chant de l’aurore.

    L’amour sans limites n’a pas tardé à inclure l’infini, en demandant au Ciel de donner ce que la Terre n’a pas pu donner : l’éternité. C’est ainsi que l’Empereur Hadrien a créé la constellation d’Antinoüs avec cinq étoiles qui étaient au Sud de la constellation de l’Aigle.

     

    La musique du Nil

     

    La passion qui unissait Néfertiti et Akhenaton était renforcée par leur aventure monothéiste. Celle qui unissait l’Empereur Hadrien et Antinoüs aboutissait à la création d’une constellation dans le firmament. Pas d’amour absolu sans dimension cosmique.

    La Terre, et plus particulièrement l’espace qui portait le cœur de l’Empire, avait aussi son foyer d’immortalisation. Dans la Villa Adriana, qui était la résidence de villégiature que l’Empereur a fait construire à une trentaine de kilomètres au Nord-Est de Rome, des portraits de l’être aimé ont fleuri en toutes saisons, plus magnifiques les uns que les autres, pour dire que l’affection survivait.

    Certaines de ces splendides effigies ont gagné maintes provinces de l’Empire pour conjurer le deuil et préserver la mémoire d’une passion impérissable. De ses propres yeux, le Zeph a vu l’une de ces effigies fabuleuses, retrouvée dans le Temple d’Apollon à Delphes. Rencontre inattendue, mais ô combien merveilleuse, offerte par le hasard d’une déambulation dans le musée de Delphes. Coup de foudre, comme pour l’Empereur, lorsqu’il est arrivé en Bithynie.

    Sur un portrait retrouvé à la Villa Adriana, Antinoüs porte le némès, l’une des coiffes du Pharaon, celle-là même qui apparaît sur le célèbre masque d’or de Toutankhamon.

      La musique du Nil

     

    De plus, le némès d’Antinoüs possède l’uræus, le cobra redressé, qui symbolise le pouvoir royal sur la Basse-Égypte. Le même cobra apparaît sur la couronne de Néfertiti, que le Zeph a vue sous le ciel de la Camargue.

     

    La musique du Nil

     

    Le némès et l’uræus étaient des emblèmes exclusivement réservés au Pharaon. Le fait qu’Antinoüs était représenté en leur possession montre que la mort l’a rendu égal à Pharaon. Déification de l’amour, pour le rendre immortel.

    C’était au cours du premier voyage à Rome que l’esprit du Zeph a visité la Villa Adriana, avec la complicité des lueurs du couchant.

     

    La musique du Nil

     

    Endroit de charme, lieu de raffinement, où la séduction s’opérait par l’élévation et la purification de l’être. Chance extraordinaire : ce soir-là, il y avait à la Villa Adriana un concert et un festin.

     

    La musique du Nil

     

    Avec délectation, l’esprit du Zeph a assisté aux répétitions de l’orchestre et aux préparatifs du banquet gastronomique.

    Musique de l’harmonie, de la plénitude, du bonheur.

    L’intelligence des lieux et l’atmosphère suave qui s’en dégageait donnaient l’intuition du charme inestimable de la vie. Comme au temps où l’Empereur et Antinoüs n’existaient que l’un pour l’autre, comme lorsque Néfertiti et Akhenaton savouraient la beauté de la vie sur les rives du Nil.

    La Villa Adriana possède une pièce d’eau, appelée Canope, qui avait pour fonction d’évoquer le Nil. L’esprit du Zeph est resté très longtemps près du Canope.

     

    La musique du Nil

     

    Les cariatides, qui se miraient dans l’eau, représentaient l’esthétique grecque, chère à l’Empereur. Le souvenir d’Antinoüs, qui hantait les lieux, rendait l’évocation du Nil encore plus poignante.

    Musique tantôt de la mélancolie, tantôt de l’enchantement.

    Au cours des trois années qui avaient précédé la tragédie qui les a éloignés l’un de l’autre pour toujours, l’Empereur Hadrien et Antinoüs étaient inséparables.

     

    La musique du Nil

     

    Partout où était l’Empereur Hadrien : en Campanie, en Afrique du Nord, en Grèce, en Asie Mineure et en Égypte, Antinoüs était à ses côtés. Ce temps vécu ensemble était comme les prémices d’un au-delà encore plus fusionnel.

    Le féminin et le masculin, ou la maturité et la jeunesse, associés dans un seul et même élan de vie : la musique du Nil est la musique de la séduction réciproque et de l’attachement indéfectible.

    Itinéraires croisés, communauté de vues, destins devenus parallèles.

    Mise en commun des énergies, épaule contre épaule, face contre face.

    Chant d’une unité qui n’est pas solitaire, mais duale.

    Musique d’une dualité qui n’est pas une opposition mais une convergence.

    La musique du Nil est la musique de la complémentarité ou de la similitude. Elle est aussi celle de la gémellité. C’était le cas quand la Cassandre de Troyes et sa sœur sont venues jusqu’à Port Napoléon pour rendre visite au Zeph. L’une était prophétesse de l’avenir, l’autre était prophétesse de l’immédiat. Chant à deux voix : voix de la tête et voix des entrailles. Registre cérébral et registre viscéral. Contributions simultanées de l’entendement et de l’émotion.

     

    La musique du Nil

     

    En ce jour de visite de Cassandre et de sa sœur, le Zeph était tel la barque solaire de Pharaon, avec la Haute-Égypte en figure de proue, et la Basse-Égypte en figure de poupe. Les positions étaient dans un ordre qui prenait en compte le sens de l’écoulement des flots : de la montagne vers la mer, des cataractes vers le delta. Le hasard a fait que ce rituel était en cohérence avec le rang d’aînée de Cassandre.

     

    La musique du Nil

     

    À vrai dire, le désir d’Égypte n’a jamais quitté le Zeph. Tantôt, c’est l’Égypte qui vient vers le Zeph. Tantôt, c’est le Zeph qui vient à la rencontre de l’Égypte.

    La musique du Nil, qui est venue à la rencontre du Zeph, célèbre le bonheur exquis d’être deux, le privilège inestimable d’œuvrer à deux, et la chance exceptionnelle de pouvoir parachever à deux le chef-d’œuvre qu’est l’amour.

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