• La musique de l'ange

    À Lyon, sur la colline de Fourvière, c’est d’abord une musique de l’apaisement, qui accompagne un message de réconfort, destiné à ceux qui cherchent refuge à l’intérieur de la basilique.

     

    La musique de l'ange

     

    La haie d’honneur des anges harpistes fait pendant à la rangée des anges cariatides qui montent la garde à l’extérieur. Même hauteur par rapport au sol. Même appartenance au mur occidental, comme pour composer un recto-verso, réversible à souhait. Traditionnellement, la harpe rétablit l’harmonie dans l’espace interne, tandis que l’épée sécurise l’espace externe.

     

    La musique de l'ange

     

    Quatre anges musiciens et huit anges guerriers gardent l’entrée principale. Douze anges en tout, comme les douze tribus d’Israël ou les douze apôtres. À cause de la nécessité d’une vigilance accrue à l’extérieur de l’enceinte sacrée, l’orchestre ne comporte pas six musiciens, comme le voudrait une répartition équitable des forces et des moyens, mais seulement quatre. L’infériorité n’est que numérique. En revanche, elle met en valeur le talent et l’efficacité des anges musiciens.

    La sérénité a besoin d’une enceinte protectrice. L’allégresse, elle, peut et doit se répandre partout, surtout à l’extérieur de l’enceinte sacrée.

    Il y a deux ans, en décembre aussi, le voyage initiatique a mené le Zeph de nouveau à Salerno.

     

    La musique de l'ange

     

    Escale féerique, où l’amour du beau était magnifié par une profusion de créations artistiques. Sur le parvis de la cathédrale, une multitude d’anges diffusait l’allégresse grâce à leurs trompettes orientées dans toutes les directions.

     

    La musique de l'ange

     

    Allégresse venant d’en haut, parce que l’événement célébré était un don du ciel. Allégresse s’élevant de la terre, parce que « les hommes de bonne volonté » se réjouissaient de l’accomplissement de la prophétie.

    L’éclat de la trompette sied à merveille pour célébrer d’autres instants solennels comme le Couronnement de la Vierge.

     

    La musique de l'ange

     

    Amplification des vibrations pour accompagner la récompense suprême de l’humilité et marquer le faste royal. C’est l’un des événements majeurs de la sphère céleste.

    Autre moment de solennité : la Résurrection de la Chair. Le son de la trompette retentit pour participer au réveil des morts et à la sortie des tombeaux.

     

    La musique de l'ange

     

    L’éclat du son de la trompette célèbre la victoire sur la mort. Triomphe éblouissant, qui bouleverse tout le cosmos.

    L’ange peut aussi faire entendre sa musique dans un cadre intimiste, sans grandiloquence. Le Caravage en donne un exemple avec son tableau « Le Repos pendant la fuite en Égypte ». On y voit la Sainte Famille assister au concert champêtre donné par un ange violoniste à l’occasion d’une halte.

    La musique produite par l’ange est une berceuse. L’Enfant, bercé par les bras maternels, goûte le repos. La mère aussi, se laisse bercer par la mélodie. Sa tête est penchée sur l’épaule gauche.

     

    La musique de l'ange

     

    S’il n’est pas encore là, l’assoupissement n’est pas très loin. Musique de douceur, d’apaisement, de sérénité, d’évasion.

    La partition renseigne sur l’inspiration des coups d’archet qui engendrent l’atmosphère de paix et de bonheur. Les notes musicales lues par l’ange mettent en valeur l’un des plus beaux poèmes d’amour de tous les temps. Il s’agit du Cantique des cantiques. Amour entre un berger et sa bergère, qui sert de figure prophétique au lien unissant le Christ et sa Congrégation.

     

    La musique de l'ange

     

    Registre de la délicatesse et du désintéressement. Chant de la réciprocité et du dévouement. Hymne à la séduction et à la sensualité.

    Le Cantique des cantiques est l’un des trente-neuf livres des Écritures hébraïques.

    Le verset 7 du chapitre 7 apparaît sur la partition peinte par le Caravage :

     מַה־יָּפִית וּמַה־נָּעַמְתְּ אַהֲבָה בַּתַּֽעֲנוּגִֽים

     Que tu es belle, que tu es agréable, ô mon amour, au milieu des délices !

     L’ange musicien du Caravage utilise une traduction latine du poème :

    Quam pulchra et quam decora carissima in deliciis

     Sur la partition, on reconnaît le Q initial de l’extrait ci-dessus.

    Un contenu aussi suave, mis en valeur par le talent d’un ange musicien, ne peut que captiver le public. Au premier plan, il y a Joseph le charpentier, et à sa gauche, un âne. Les regards de l’homme et de l’animal disent la même attention, le même plaisir, la même fascination. La musique produite par l’ange du Caravage est la musique de l’osmose. Osmose des sensibilités et des goûts.

    L’harmonie engendrée par la musique de l’ange ne concerne pas que le règne animal, elle englobe aussi le monde végétal. Tout près de l’ange, le peintre a dessiné avec précision et minutie des feuilles de chêne qui dansent au son de la mélodie.

     

    La musique de l'ange

     

    Le bien-être apporté par la berceuse se répand dans tout le cosmos, à partir de l’instrument à cordes, jusqu’au feuillage du chêne, jusqu’aux plumeaux oscillant au bord de l’eau, et jusqu’aux sommets des peupliers qui ondulent sur l’autre rive.

    Magnifique propagation qui évoque la symbiose au sein de la Création, et à laquelle l’être humain est étroitement associé, puisque celui qui tend la partition connaît intimement le bois et la fibre végétale, en raison de son métier de charpentier. Une vibration de bonheur traverse le tableau, depuis la figure de Joseph jusqu’aux sommets des peupliers. La musique de l’ange est la musique d’un Éden retrouvé.

    Malgré sa provenance céleste, c’est une musique portée par la Terre. L’ange musicien est pieds nus. Les talons sont serrés l’un contre l’autre, pour bien marquer le point d’appui au sol. Le porteur de la partition a les gros orteils croisés, montrant ainsi l’impact par terre. Effet de contrepoint, avec l’usage de l’arrière des pieds pour l’un, et du devant des pieds pour l’autre. Marie, elle, est assise à même le sol. Le Caravage montre que la musique de l’ange a besoin d’appuis terrestres pour émerger, éclore et émouvoir.

    Les nombreuses allusions à la Terre signifient que la berceuse est destinée à des créatures pétries d’argile, à des êtres de basses conditions sociales, aux porteurs de l’humilité, dont fait partie l’âne. La musique de l’ange du Caravage est une musique de la sollicitude.

    Plaisir de l’ouïe, mais aussi plaisir de la vue. Car le corps du musicien est magnifique. Il ne se dévoile que de dos. De plus, ce dos est partiellement caché par un voile qui vole au gré du vent, pendant que la mélodie s’envole et se répand dans l’air. Quelle pureté des lignes ! Quelle grâce dans la position et les gestes ! La musique de l’ange du Caravage est la musique de l’élégance.

     En procurant du plaisir et du réconfort, la musique de l’ange est la musique du bien-être. Elle est aussi la musique du bien, car elle supplée à la défaillance originelle, éclaire le destin et donne du sens à l’existence.

    La musique peut être produite directement ou induite indirectement par l’ange.

    Lors de son premier voyage à Rome, le Zeph a fait escale à Viareggio.

     

    La musique de l'ange

     

    Il a profité de cette halte sur le rivage toscan pour explorer l’arrière-pays jusqu’à Florence.

     

    La musique de l'ange

     

    Sur les portes de bronze du baptistère de la cité des Médicis, est sculptée une scène qui illustre le cas de l’induction indirecte.

     

    La musique de l'ange

     

    On y voit Abraham qui reçoit la visite de trois anges, venus pour lui annoncer que sa femme, Sarah, mettra au monde un fils. Et Sarah, qui écoute aux portes, se met à rire. Comment pourrait-il en être autrement puisqu’elle n’a pas encore été mère et qu’elle a perdu tout espoir de le devenir un jour, en raison de son âge très avancé ?

    Musique de l’hilarité, déclenchée par l’annonce des trois anges.

    Hilarité qui est sans doute de l’incrédulité, dans un premier temps, à cause du défi lancé à la physiologie. En effet, le corps de l’épouse a déjà vécu neuf décennies. Et celui de l’époux, presque un siècle entier !

    Hilarité qui est aussi une manifestation de joie à l’annonce d’une récompense inespérée. Musique d’une fécondité retrouvée, d’une maternité miraculeuse, de l’ouverture à un nouveau bonheur.

     

    La musique de l'ange

     

    La musique de l’hilarité, induite par le message des anges, laisse une empreinte sonore dans le nom du futur enfant. Double empreinte, d’ailleurs. Empreinte dans le signifié, parce que l’enfant du miracle s’appelle « le Rieur », Yitz'hak ( יִצְחָק ) en hébreu. Empreinte encore dans le signifiant, parce que la prononciation des lettres hébraïques fait retentir la musique du rire. Musique de la gaieté, qui résonne tout au long du récit biblique, à travers les maintes occurrence du nom et du verbe associés au rire.

    Fascinante progression de la musique induite par les trois anges. Au début, l’épouse rit « en elle-même ». Presque en secret, d’après le texte de la Genèse (chapitre 18, verset 12). Puis cette musique se répand dans tout son entourage, terrestre et céleste, et s’amplifie dans la suite du récit biblique.

    Musique de l’exquise surprise, de la vitalité ressuscitée, qui traverse les âges, passe de génération en génération.

    En effet, des années plus tard, Rebecca, la femme d’Isaac, est la proie de la convoitise d’un roi.

     

    La musique de l'ange

     

    Par bonheur, les yeux du souverain envieux se dessillent quand ils voient le rire qu’Isaac a pour Rebecca. Ce n’est pas le rire entre frère et sœur, mais entre mari et femme.

     

    La musique de l'ange

     

    Musique de la connivence, de la tendresse et de la sensualité. Confondu par une telle démonstration d’amour, le souverain s’est vu contraint de relâcher Rebecca et de la rendre à Isaac, « le Rieur ».

    La musique induite indirectement par les trois anges était jadis la musique de l’octroi de la vie. À présent, elle est la musique de la survie du couple.

    La musique de l’ange s’adresse à l’être tout entier, y compris à l’enveloppe charnelle. En attendant la restauration intégrale et universelle, elle participe à des re-créations salutaires, qui sont des jalons précieux sur la route de l’accomplissement de la promesse.

    La musique de l’ange est la musique de l’empathie. Une empathie qui reflète la sollicitude que le Grand Architecte a pour sa Création.

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