• La douceur de l'espoir

    L’État central venait de décréter un génocide. Dans tout le pays, les sages-femmes ont reçu l’ordre de jeter dans le Grand Fleuve les nouveaux-nés mâles qui appartenaient à un peuple de migrants. Ceux-ci étaient venus s’installer là, pour échapper à la famine qui sévissait au Nord.

    Dans la minorité menacée d’extermination, une mère a bravé le décret de la tyrannie. Elle voulait garder en vie son garçon. Désobéissance civique ? Sans doute, mais l’instinct maternel était légitime. Rébellion ? C’était ce que pouvaient penser le pouvoir central et ses agents d’exécution. Courageuse mais réfléchie, la mère nourrissait le doux espoir que la vie de son fils serait épargnée. Pendant trois mois, l’instinct maternel a triomphé, parce que la présence du nourrisson a pu être cachée sans éveiller de soupçon.

    Le geste de la mère n’était ni innocent, ni anodin. C’était un acte délibéré, qui aurait pu entraîner de très lourdes conséquences. C’était un défi à l’autorité suprême du pays. Et comme la mère appartenait à une population déjà soupçonnée de dissidence, le fait d’avoir caché le nouveau-né aurait pu être considéré comme un geste séditieux et très sévèrement châtié.

    Puis est venu le moment où la sécurité du garçon ne pouvait plus être assurée au sein du giron familial.

    Aidée par sa fille aînée, la mère a mis le bébé dans un réceptacle en osier et a confié le tout aux flots de l’espoir.

     

    La douceur de l'espoir

     

    Espoir que le petit enfant aurait la vie sauve, malgré les dangers du Grand Fleuve et le décret d’extermination. Espoir que dans le cas où le fils survivrait, il n’oublierait pas ses racines.

    Cette histoire, qui est celle de la naissance de Moïse, est consignée dans le livre de l’Exode, au chapitre 2.

    Le doux espoir que la mère nourrissait au sujet du devenir de son fils était sans aucun doute suscité par l’intuition qu’elle avait du rôle historique que l’enfant jouerait quand il serait adulte.

    Le fait de garder le nouveau-né en vie était un geste qui avait une portée politique. Les parents en étaient parfaitement conscients, mais ils n’ont pas eu peur de défier le décret royal.

    L’apôtre Paul explicite la cause de cette absence de peur.

    En effet, dans l’épître aux Hébreux, il écrit :

    Πίστει Μωσῆς γεννηθεὶς ἐκρύβη τρίμηνον ὑπὸ τῶν πατέρων αὐτοῦ διότι εἶδον ἀστεῖον τὸ παιδίον καὶ οὐκ ἐφοβήθησαν τὸ διάταγμα τοῦ βασιλέως

    ΠΡΟΣ ΕΒΡΑΙΟΥΣ ια’

     

    « Par la foi, les parents de Moïse le tinrent caché pendant trois mois après sa naissance. Ils virent que c'était un bel enfant et n'eurent pas peur de désobéir à l'ordre du roi. »

    Épître aux Hébreux, chapitre 11, verset 23

     

    L’acte politique était motivé par un facteur d’ordre esthétique.

    La vision a déclenché l’action.

    Plus précisément, la perception visuelle a fait naître un doux espoir, qui a poussé à agir sans crainte, c’est-à-dire avec confiance.

    La beauté du nourrisson, dans sa morphologie et dans ses gestes, était révélatrice d’un destin hors du commun. Les parents, aimants et attentifs, ne pouvaient pas ne pas capter le message écrit en filigrane.

    Au cours d’un plaidoyer, l’apôtre Paul donne un détail qui aide à comprendre l’intuition des parents. On trouve sa déclaration dans le livre des Actes des apôtres :

    ἐν ᾧ καιρῷ ἐγεννήθη Μωσῆς καὶ ἦν ἀστεῖος τῷ θεῷ ὃς ἀνετράφη μῆνας τρεῖς ἐν τῷ οἴκῳ τοῦ πατρός αὐτοῦ

    ΠΡΑΞΕΙΣ ΑΠΟΣΤΟΛΩΝ ζ

     

    « À cette même époque est né Moïse, et il était divinement beau. Et il a été nourri trois mois dans la maison de [son] père. »

    Actes des apôtres, chapitre 7, verset 20

     

    Le nourrisson n’était pas que beau. Il était DIVINEMENT beau ! Cette grâce exceptionnelle, accordée par la nature à une manière d’être, ne pouvait s’accorder avec un destin ordinaire ou banal.

    La beauté était l’instigatrice de l’espoir, qui bannissait la peur.

    L’espoir avait son poste d’observation, où se tenait la sœur aînée du garçon.

    L’espoir a trouvé sa première satisfaction quand une âme au sang royal s’est penchée sur le réceptacle en osier et s’est montrée compatissante à l’égard du bébé.

     

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    Puis l’espoir a pris son envol quand cette âme charitable a adopté l’enfant comme fils, et lui a donné le nom de Moïse, nom qui signifie littéralement « tiré des eaux ».

     

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    À plusieurs reprises, la route du Zeph a croisé l’itinéraire de Moïse, qui avait libéré les Hébreux de l’esclavage en Égypte.

    La libération des Hébreux exigeait qu’ils sortent du territoire où ils étaient retenus comme esclaves. Il fallait donc faire entendre cette nécessité au roi d’Égypte.

    C’était l’escale cannoise qui a rappelé au Zeph l’injonction faite au souverain lui-même.

     

    La douceur de l'espoir

     

    L’été dernier, sur l’esplanade située devant la capitainerie, l’esprit du Zeph a lu avec beaucoup d’intérêt les panneaux célébrant les 180 ans du quai Saint-Pierre, qui était l’embryon de l’actuel port de plaisance.

     

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    De nos jours, ce quai est réservé aux vaisseaux de parade, resplendissant de luxe et de modernité. L’un d’eux exposait à la vue de tous l’injonction biblique : « Let My People Go ! »

     

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    La proue de l’énorme vedette immatriculée à George Town restituait dans la langue de Shakespeare la parole de Moïse adressée à Pharaon.

    En version originale, on peut lire :

    וְאַחַר בָּאוּ מֹשֶׁה וְאַהֲרֹן וַיֹּאמְרוּ אֶל־פַּרְעֹה כֹּֽה־אָמַר יְהוָה אֱלֹהֵי יִשְׂרָאֵל שַׁלַּח אֶת־עַמִּי וְיָחֹגּוּ לִי בַּמִּדְבָּֽר

    שְׁמֹות 5 : 1

     

    La Bible de Jérusalem rend ainsi ce verset :

    Après cela, Moïse et Aaron se rendirent auprès de Pharaon et lui dirent : « Ainsi parle YHWH, le Dieu d'Israël : “Laisse partir mon peuple, pour qu'il célèbre une fête pour moi dans le désert.” »

    Exode, chapitre 5, verset 1

     

    La locution « laisse partir », employée par certaines traductions, correspond au terme hébreu שָׁלַח, qui est le verbe « aller », au mode impératif. Aucun mot dans le verset ne parle ni de l’attitude ni de la motivation du roi d’Égypte en amont du départ des Hébreux. Le verset ne s’intéresse qu’à la conséquence de la démarche adoptée par le despote, laquelle conséquence étant le caractère effectif du départ des Hébreux. La seule chose qui intéressait le Dieu d’Israël, c’était que le peuple hébreu puisse partir, peu importe comment Pharaon allait s’y prendre.

    Les traducteurs qui utilisent la locution « laisse partir » prêtent au roi d’Égypte un consentement, une résignation, voire une certaine mollesse.

    D’autres biblistes, à l’instar de l’illustre André Chouraqui, utilisent un vocabulaire plus énergique et rendent ce verset ainsi :

    Après cela, Moïse et Aaron entrèrent et dirent à Pharaon : “ Voici ce qu’a dit Jéhovah le Dieu d’Israël : ‘ Renvoie mon peuple pour qu’il me célèbre une fête dans le désert. ’ ”

    « Renvoyer », ce n’est pas « laisser partir ». « Renvoyer », c’est chasser, expulser ce qui est indésirable ou dangereux. C’est hâter le départ, le rendre urgent, car il y aurait péril s’il ne s’effectuait pas.

    À l’instant où Moïse a prononcé ces mots, rien n’a été dit concernant les mobiles qui veillaient dans le cœur de Pharaon. André Chouraqui, qui connaît le déroulement des événements a posteriori, a tenu compte du contexte qui contraindrait le roi d’Égypte à se débarrasser des Hébreux, dont la présence est devenue pestilentielle.

    Irrépressible, l’espoir de liberté des Hébreux s’apprêtait à devenir invincible.

    Le roi d’Égypte a signifié son refus et s’est entêté dans son insolence.

    L’enjeu était crucial. Économiquement, le souverain ne pouvait se séparer d’une main-d’œuvre aussi bon marché. Politiquement, le prestige de la plus grande puissance mondiale de l’époque ne pouvait s’accorder avec une amputation que laisserait entendre le départ d’un peuple assujetti.

    C’était l’escale à Sanary-sur-mer qui a illustré les conséquences catastrophiques de l’entêtement de Pharaon.

    Le Zeph connaît bien Sanary-sur-mer et s’y rend toujours avec un très grand plaisir.

     

    La douceur de l'espoir

     

    Parmi les fresques qui font la splendeur de l’église Saint-Nazaire à Sanary-sur-mer, l’une d’elles est consacrée à la Traversée de la Mer Rouge.

    Les Écritures racontent que les Hébreux ont traversé, sains et saufs, la Mer Rouge, qui s’était ouverte pour eux. Mais pas pour leurs ennemis, qui les poursuivaient.

     

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    La Mer Rouge s’est refermée sur l’armée des poursuivants.

    À Sanary-sur-mer, la fresque de la Traversée de la Mer Rouge prend place de part et d’autre d’une fenêtre longiforme, qui laisse entrer la lumière du jour. À gauche, ce sont les poursuivants. À droite, se trouvent les poursuivis.

     

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    La mer inonde tout l’espace à gauche. À droite, elle se présente sous la forme d’un ourlet qui vient pourlécher la bordure de la fenêtre. Les personnages de ce bord, qui sont debout, ont les pieds au sec. L’homme qui est à la tête du groupe est Moïse. Une inscription au-dessus de la silhouette confirme l’identité du Conducteur. Derrière lui, se tiennent un homme âgé et une femme portant un enfant. Il s’agit de l’évocation de toutes les catégories naturelles au sein du peuple hébreu : masculin et féminin, jeunesse et vieillesse. Quant à la distinction entre maître et esclave, elle n’a pas lieu d’y être. Dans le camp des Hébreux, tous sont debout, fiers de leur nouvelle liberté, qui les rend égaux devant le Très-Haut.

    À gauche, les personnages se démènent avec les flots. Pharaon est reconnaissable par sa coiffe spécifique. À droite du souverain empêtré, se débattent ses soldats, au milieu de boucliers décorés avec le pelage du léopard. À l’arrière-plan, le conducteur du char royal perd pied, lui aussi. Au-dessous du groupe, gît le corps d’un soldat égyptien, qui a sans doute déjà rendu l’âme.

    L’espace de lumière, créé par la fenêtre, évoque la colonne ardente qui empêche Pharaon et son armée de rattraper les fugitifs.

    La partie de gauche, celle où les Égyptiens boivent la tasse, a retenu l’attention du capitaine. Il en a extrait une photo, qu’il a ensuite mise sous cadre. Depuis, la photo encadrée est visible au chevet de son lit, dans la cabine à l’avant.

    Qu’est ce qui faisait que le capitaine a jeté son dévolu sur la scène de la noyade ?

    Était-il fasciné par le rendu des mouvements de l’onde, qui avaient été dessinés à la manière syriaque, par un iconographe appartenant à l’école de Jean le Damascène ?

    Voulait-il se souvenir que la mer pouvait très bien, hélas, faire partie du Séjour des Morts ?

    Ou avait-il l’intention de protéger le Zeph de toute manifestation de la tyrannie, en rappelant le sort réservé à celui qui avait cherché à anéantir l’espoir de liberté des Hébreux ?

    La Mer Rouge était comme le no man’s land, gardé de part et d’autre par les avant-postes de deux pays ennemis. Pharaon a cru qu’il pouvait s’y aventurer à sa guise. Il a appris à ses dépens que ce n’était pas le cas.

    Après la fermeture de la Mer Rouge, les Hébreux étaient définitivement hors de portée des Égyptiens.

    Sur le chemin de sa réalisation, l’espoir de liberté des Hébreux était confronté à une triple problématique, comme en navigation :

    D’abord, la problématique du départ : pouvoir lever l’ancre et larguer les amarres, et accomplir tout cela sans incident.

    Ensuite, la problématique de la traversée : être sain et sauf pendant la durée de la traversée.

    Enfin, la problématique de l’arrivée : de quel nature est le rivage qui est abordé ?

    Pour les Hébreux, le don des « Dix Paroles » était l’un des événements majeurs à l’entrée de la Terre Promise.

    Les « Dix Paroles », qui viennent de l’expression hébraïque עֲשֶׂרֶת הַדִבְּרּוֹת , utilisée dans le livre de l’Exode (chapitre 34, verset 28), sont encore connues sous le nom de « Dix Commandements ». La langue grecque emploie le mot δεκάλογος – ΔΕΚΑΛΟΓΟΣ.

    À Navy Service, qui est aussi un port à sec et où se promène souvent l’esprit du Zeph, la préférence est donnée aux sonorités grecques.

     

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    Les « Dix Paroles » couronnaient l’accomplissement de l’espoir de liberté des Hébreux et cimentaient l’unité des douze tribus d’Israël.

     

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    Il y a trente-cinq siècles, Moïse a délivré les Hébreux de l’esclavage en Égypte. Mais il existe un autre esclavage, qui est encore d’actualité et qui concerne toute l’humanité. En effet, chacun de nous porte le joug de l’imperfection, qui se traduit par le dépérissement, la maladie et la mort. Pour être affranchie de l’esclavage de l’imperfection, la famille humaine a besoin d’un Libérateur, plus grand que Moïse.

    À maintes reprises, le destin du Zeph a été interpellé par cette problématique. L’hôpital cardiologique du CHU de Lyon était le théâtre de l’une de ces douloureuses confrontations.

    Certes, l’esprit du Zeph n’avait pas à transiter par l’esplanade de l’hélicoptère, appelée Dropping Zone par l’aviation de la sécurité civile.

     

    La douceur de l'espoir

     

    Cette dispense était une véritable bénédiction.

    À l’inverse, l’esprit du Zeph connaissait très bien le bus urbain qui déposait les visiteurs, puis revenait les chercher plus tard.

     

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    Bus de l’espoir. À l’aller, espoir que la nuit avait apporté le réconfort. Au retour, espoir que le lendemain, l’être alité serait en meilleure santé. Doux espoir. Indispensable espoir.

    Tout en haut de l’édifice destiné à soigner les personnes meurtries par le joug de l’imperfection, il y avait la piste d’atterrissage pour les cas d’extrême urgence. Dix étages au-dessous, il y avait la route de l’espoir pour les allers et venues du jour. Et plus bas encore, il y avait le sol de l’optimisme. En effet, plusieurs parterres, magnifiquement fleuris, égayaient l’œil, dissipaient l’inquiétude et redonnaient confiance.

    Variété des couleurs, car l’espoir se parait d’une multitude de teintes.

     

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    Des couleurs vives côtoyaient d’autres tonalités, plus douces, pour rappeler que la richesse chromatique était un puissant stimulant de l’énergie vitale.

    Variétés des formes, car l’espoir pouvait adopter différentes silhouettes.

     

    La douceur de l'espoir

     

    Des formes stellaires, pour dire que même au milieu de la nuit, la lumière de la vie ne s’éteignait pas. Des formes exhibant la souplesse, pour signifier qu’après une chute, l’espoir de pouvoir se relever était doux, mais pas vain.

    L’aménagement de la façade en trois degrés était subtil, car il réservait au niveau le plus accessible le maximun d’élan vital.

    L’hôpital cardiologique de Lyon avait un jardin nourri par la sève végétale, et un autre jardin, qui s’embellit grâce au fluide de l’empathie et de la sollicitude. Dans ce jardin symbolique, existait une fleur dont la présence apportait la tranquillité de l’esprit. Techniquement, cette présence ne se substituait pas à celle des disciples d’Asclépios. Mais moralement, cette fleur au parfum de la bonté, enlevait le fardeau des tracasseries administratives et permettait un accès en toute dignité à la prise en charge par les praticiens les plus compétents. Cette personne charitable, qui a secouru le Zeph en le libérant du poids des questions financières et en lui offrant la paix de l’esprit, était un magnifique cadeau de la providence. Cette âme providentielle ne maniait ni le stéthoscope, ni le scalpel, et ne délivrait pas d’ordonnance. Elle pratiquait seulement l’amour du prochain. Grâce à elle, le Zeph a connu la sérénité, cultivé l’espoir et retrouvé le sourire. Elle était comme la princesse qui avait tiré Moïse hors de l’eau du Nil.

    La douceur de l’espoir n’est ni illusoire, ni frustrante grâce à des êtres exceptionnels, qui s’investissent par leur bonté et leur détermination.

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