• La courbure de l'humour

    L’humour a-t-il une courbure spécifique, facilement identifiable ? Est-ce toujours la concavité tournée vers le haut ?

    Il y a deux semaines, quand on venait de Πύλος – ΠΥΛΟΣ en voiture et que l’on entrait dans Κυπαρισσία – ΚΥΠΑΡΙΣΣΙΑ, juste avant le port, on pouvait découvrir un joyeux spectacle en plein air, où l’humour déployait allègrement sa créativité en exhibant une profusion de courbures.

    Des courbures pour communiquer la bonne humeur, la gaîté et la joie.

    Des courbures pour susciter l’empathie, la solidarité et l’entraide, selon la conception de l’illustre poète sicilien Luigi Pirandello.

    L’estrade était fournie par un talus qui s’avançait vers la mer. La végétation du bord de mer servait de mur de scène et laissait entrevoir de temps à autre l’horizon qui séparait les deux étages azurés.

    Souvent, la courbure de la bouche donne la tonalité à l’expression du visage.

    Une concavité tournée vers le haut transmet sans problème la bonne humeur.

     

    La courbure de l'humour

     

    Des coques de noix à la place des yeux ne rendent pas le regard opaque, mais mystérieux. Le mystère donne de l’attrait.

    Les yeux peuvent disputer à la bouche le privilège de la drôlerie, surtout quand les lèvres disparaissent sous une moustache abondante. La noix cède alors la place à la badiane pour que l’iris soit représenté par un octogone étoilé.

     

    La courbure de l'humour

     

    La symétrie radiale exhibée dans le creux de l’œil rend le regard fascinant. L’apparent classicisme de la moustache est doublé par une trouvaille amusante pour valoriser les yeux.

    L’humour s’autorise des audaces en déstructurant les symétries habituelles et en jumelant un organisme vivant et un objet inerte. La ligne des yeux est un lieu privilégié pour révéler l’antagonisme.

     

    La courbure de l'humour

     

    Une fleur pour l’œil gauche et une capsule de bouteille pour l’œil droit. On s’inspire de la sphère dans le premier cas, et du cylindre dans le second, si l’on fait abstraction des dents. Le caractère hétéroclite de l’assemblage amuse. Le résultat est un regard oblique, provocateur, aguicheur.

    L’humour est dans la simplification, ou dans la complexification.

    La construction de la bouche peut nécessiter une seule cacahuète ou plus d’une cacahuète.

     

    La courbure de l'humour

     

    La succession des différentes courbures apporte une nouvelle saveur à l’humour.

    La pluralité des éléments stimule l’imagination qui agence et organise. Le comique de situation dispose de davantage de possibilités.

    La fertilité de l’imagination peut s’intéresser à la courbure des lignes, mais aussi à la courbure des surfaces. Simuler un accident est une façon de surprendre et de faire rire.

     

    La courbure de l'humour

     

    Des cacahuètes éclatées ou explosées ont sans doute plus de succès que des cacahuètes entières.

    Le profil de la bouche et la ligne des yeux sont concernés quand l’humour choisit l’horizontalité. Le choix de la verticalité rend la transformation du nez inévitable.

    Le cylindre donne l’axe.

     

    La courbure de l'humour

     

    L’omission des narines ajoute au comique. La question de la latéralité pourrait être transférée en périphérie, au niveau des joues. Dans le cas présent, une étoffe couvre la joue droite ainsi que le côté droit des mâchoires. Dissymétrie qui évite le piège de la raideur et excite la curiosité. Que dissimule réellement cette étoffe ?

    L’humour sait entretenir le suspens.

    L’humour sait aussi créer des nez protéiformes. La pomme de pin apporte un volume ovoïdal, drôle.

     

    La courbure de l'humour

     

    La drôlerie est irrésistible, car les écailles, qui relèvent leurs extrémités libres, font penser à des becs ouverts. Une multitude de becs d’oiseau au milieu d’un visage humain : comme c’est drôle !

    L’humour joue avec le choc de l’inhabituel pour alléger le fardeau de l’existence. Voici une personne dont les sourcils sont épais, sombres, chargés de mélancolie ou de peine.

     

    La courbure de l'humour

     

    La cacahuète qui est au niveau de la bouche présente une courbure opposée à celle des sourcils. Juste au-dessous, le pli qui évoque le profil des lèvres hésite entre les deux courbures. Il en résulte un rictus qui exprime la contrariété, voire même l’inquiétude. Malgré ses préoccupations, le personnage est loin d’être antipathique. L’élégance du cache-col et des manches suscite même de la tendresse à l’égard du porteur. L’humour fait fleurir de la gaîté au milieu de la mélancolie pour alléger la peine et faciliter l’empathie.

    Il existe aussi des courbures transparentes, qui laissent le visage vierge de tout tracé et de tout modelé.

    Liberté totale, pour une fantaisie sans limite.

    Cette jeune fille ne montre rien sur son visage.

     

    La courbure de l'humour

     

    L’humour fait de cette absence de détails, non pas une cause d’inquiétude, mais une source d’étonnement et de ravissement.

    Le contraste surgit quand on remarque la multitude de fleurs qui orne le haut de la robe blanche. Le contraste attire et amuse.

    Les silhouettes féminines semblent affectionner les visages effacés et les robes blanches. Cette fois-ci, les plis sont nombreux et leur courbure rappelle l’Antiquité.

     

    La courbure de l'humour

     

    En la circonstance, la robe arbore deux fleurs de la famille de la marguerite, et un superbe papillon.

    Courbure circulaire et symétrie radiale des deux formes végétales. L’humour a recours à la coquetterie.

    Courbure lascive du contour des ailes pour le lépidoptère.

     

    La courbure de l'humour

     

    Courbure chatoyante des nervures qui imitent le faste du plumage du paon.

    L’humour est une opération de séduction !

    Le visage sans trace n’est pas l’apanage du féminin. Une silhouette masculine a le visage de l’effacement, mais une tunique magnifiquement brodée.

     

    La courbure de l'humour

     

    Des courbures se ramifient et s’enchaînent pour orner l’encolure et les manches.

    Courbure de l’opulence, grâce à broderie.

    À l’inverse, simplicité désarmante du tour de corde qui serre la robe à la taille.

    La cohabitation de la magnificence et de la simplicité ne choque pas, elle fascine. Et l’humour, le véritable, est toujours fascinant.

    L’humour dit ce qui est beau et insolite, tout en donnant de la joie.

    N’y a-t-il pas des difformités ? Certes, elles sont là.

     

    La courbure de l'humour

     

    Mais elles sont comme naturelles et n’ont rien de malsain. Et même, elles rendent le personnage plus vrai et plus proche de nous tous.

    Le corps a les formes que lui donne le gagne-pain. Une étiquette sur le chemisier marron porte l’inscription ΜΑΡΙΓΟΥΛΑ, un prénom souvent associé à une cuisine gourmande et délicieuse. Que fait-elle, ΜΑΡΙΓΟΥΛΑ, avec sa noria de boîtes de conserves ?

    Les excentricités sont-elles vraiment nécessaires ?

     

    La courbure de l'humour

     

    Il faudrait peut-être y voir un geste de coquetterie ou un trait de génie.

    Un papillon sert de couvre-chef. Le papillon prépare-t-il son envol ou vient-il de se poser ? Des rêves plein la tête, bientôt accomplis,ou fraîchement conçus.

    D’autres papillons encore, sous forme de nœuds élégants, au cou et à la taille, pour dire que la métamorphose concerne la moindre parcelle du corps.

    Une fleur rose sur le cœur, des pétales jaunes aux manches et à la ceinture. La gaîté s’installe aux endroits stratégiques. Des corolles de pourpre et d’or montent la garde pour combattre le stress.

    Les facéties dans la physionomie et dans l’accoutrement aident à prendre du recul par rapport aux drames de la vie.

    L’humour détend, ravit et guérit.

    Malgré l’immobilité de chacun, l’ensemble est comme entraîné dans une chorégraphie dont le flash livre au passant l’image de l’instantané en 3D, grandeur nature.

    Le bal champêtre est-il en cours ou touche- t-il à sa fin ?

    Réjouir sans incommoder, divertir sans flétrir : c’est du grand art, très grand art !

    On rit ensemble, parce que l’on s’apprêtait à pleurer ensemble.

    On rit ensemble, pour se consoler mutuellement.

    Fidèles à la conception de Luigi Pirandello, les artistes de rue à Κυπαρισσία – ΚΥΠΑΡΙΣΣΙΑ ont déployé une estrade, non pas pour la moquerie, mais pour l’empathie.

    Dans l’univers pirandellien, l’humour ne dégrade pas et ne blesse pas.

    L’humour ne griffe pas et ne fait pas d’égratignure.

    La langue française est explicite sur l’effet d’une pointe ou d’une pique. Donc lancer une pointe ou une pique sous prétexte de montrer que l’on a de l’esprit, ce n’est pas faire de l’humour, mais faire acte de malveillance, par rivalité, frustration ou jalousie.

    L’humour dit le bien-être de son auteur. La pointe ou la pique trahissent le malaise de la personne qui en use.

    L’humour se sert d’un décalage pour rétablir l’équilibre. La pointe ou la pique s’emparent du décalage pour l’accentuer et l’aggraver.

    L’humour ne fait jamais grincer des dents. La pointe ou la pique, toujours.

    L’humour met tout le monde à égalité. La pointe ou la pique blessent pour abaisser et dominer.

    L’humour émane d’une vertu, celle du partage. La pointe ou la pique sont des armes, pour accéder au prestige et à l’hégémonie.

     

    La courbure de l'humour

     

    Avec ce spectacle très réussi, les artistes nous ont aussi livré un portrait pittoresque et enjoué de la société grecque. Il s’agissait donc d’un regard introspectif, qui disait ce qui était vrai, mais avec la subtilité et le raffinement de la poésie. Le talent était dans le jonglage entre l’ancrage dans la réalité et l’évasion par le rêve. L’humour était le délicieux fruit du talent des jongleurs.

    Par le moyen d’une profusion de courbures amusantes, c’était donc une société qui s’observait, se scrutait et se décrivait. C’est un soi collectif qui s’examinait lui-même, s’amusait avec lui-même, s’éclatait sans retenue avec lui-même, trouvait du bonheur dans la parodie de soi-même.

    Il faut du courage pour rire, non pas d’autrui, mais de soi-même.

    La courbure de l’humour est celle d’un courage joyeux.

    À Κυπαρισσία – ΚΥΠΑΡΙΣΣΙΑ, l’humour choisit la courbure qui suscite l’empathie et requiert la probité : c’est une courbure qui édifie autrui et soi-même.

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 12 Septembre 2019 à 20:37

    Une fois encore le « Bosco » nous ravit par son regard plein de malice, de sagesse et de bienveillance.

    Il accentue définitivement la courbure de nos bouches vers le haut!

      • Jeudi 12 Septembre 2019 à 21:51

        Le Bosco et moi même vous remercions de tout vos bons mots... Que vous preniez le temps d'écrire un commentaire à chacun de nos articles nous touche beaucoup !

    2
    Vendredi 13 Septembre 2019 à 18:35

    Ce qui aurait été génial c’est que ces artistes grecs de la rue puissent lire cette analyse  de leur expo, écrite par un collègue français. Moi du coup, à l’heure de l’apéro je ne regarderais plus les cacahuètes avec les même yeux.

    Cricri 2 (le commandante ne boit pas, lui)

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