• L'élixir de la quiétude

    Il y a eu la quiétude du soir, puis la quiétude du matin.

    Cette phrase n’est pas sans rappeler à certains celle qui concluait chacun des six premiers jours de création :

    וַֽיְהִי־עֶרֶב וַֽיְהִי־בֹקֶר

    בְּרֵאשִׁית . א : ה , ח , יג , יט , כג , לא

     

    « Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin ».

    Livre de la Genèse. Chapitre 1. Versets 5, 8, 13, 19, 23, 31.

     

    Dans le cas que nous vous relatons, le soir a précédé le matin, comme dans le texte hébreu.

    En effet, le hasard du périple a fait que nous nous sommes approchés de l’île de la quiétude au moment où le soleil faisait rougir l’horizon à l’ouest.

    Ce rougeoiement a déteint sur la roche qui se préparait à nous accueillir pour la nuit.

    La première vision qui nous a été offerte était donc celle-ci :

     

    L'élixir de la quiétude

     

    L’ocre du crépuscule nous plongeait dans un ravissement intense, d’autant plus intense que nous semblions en être les seuls bénéficiaires. Car, dans l’immédiat, aucune voile, aucun mât n’était visible.

    Nous étions comme seuls au monde.

    Nous étions comme seuls au paradis.

    Nous étions comme seuls à nous glisser dans la quiétude dorée du soir.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    Cette île a-t-elle un nom ? Comment les géographes l’appellent-ils ?

    Bien sûr, cette île est connue des géographes et des cartographes. À en croire un certain commandant Jacques-Yves Cousteau, elle serait même l’un des plus beaux endroits du globe.

    Palmarola était le nom de l’île, qui faisait partie de l’arcipelago delle Isole Ponziane, l’archipel des Îles Pontines, situé au Nord-Ouest de la baie de Naples.

    L’illustre océanographe français s’exprimait avec sa science, qui permettait des évaluations et des comparaisons.

    Nous, nous n’avions que notre instinct hédoniste et notre âme de poète. Et tout de suite, nous avons eu le coup de foudre pour la quiétude des lieux.

    Là où le Zeph voulait s’abriter pour la nuit, c’était sur le versant Est de l’île, c’est-à-dire le versant qui était déjà dans l’ombre, en fin d’après-midi. À cette occasion, nous étions doublement chanceux : premièrement, nous sommes arrivés à la bonne heure pour admirer la face ensoleillée, et deuxièmement, il nous restait encore assez de clarté pour mouiller à l’endroit de notre choix, non sans vérifier scrupuleusement que l’ancre tenait bon.

    Aucune précipitation n’a eu lieu pour effectuer les manœuvres qui préparaient le repos nocturne.

    La quiétude des lieux s’infiltrait dans nos corps et chassait le moindre stress.

    Nous étions extrêmement ravis d’avoir notre havre de paix.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    Après avoir joué à cache-cache avec le paravent des rochers, le soleil s’en est allé jouer ailleurs, sous l’horizon.

    Nous avons voulu rester en osmose totale avec le cadre paradisiaque. Alors nous avons pris soin d’éviter tout excès, toute excentricité pour ne pas polluer l’inestimable élixir de l’instant. La simplicité était la meilleure préparation pour savourer pleinement cet élixir.

    Le repas du soir était frugal. Nous avons préféré la flamme de la bougie à l’électricité.

    Étions-nous réellement seuls ? Non.

    À l’Ouest, il y avait un bateau avec une coque foncée et un pavillon britannique.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    À l’Est, il y avait un autre voilier, immatriculé à Rome, avec l’inscription ROMA11024D à la proue.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    Mais tout le monde était discret. Ce soir-là, tout le monde avait du civisme. Tout le monde était conscient du caractère exceptionnel de cet environnement de quiétude. Tout le monde avait de la noblesse dans son savoir-vivre pour ne pas chanter à tue-tête son privilège. Donc pas de musique tonitruante, pas de pollution lumineuse.

    L’écrivain américain Thomas Merton, né à Prades, dans les Pyrénées-Orientales, a déclaré ceci :

    « In a world of noise, confusion and conflict it is necessary that there be places of silence, inner discipline and peace. In such places love can blossom. »

    Dans un monde de bruit, de confusion et de conflits, il est nécessaire qu'il y ait des lieux de silence, de discipline intérieure et de paix. Dans de tels endroits, l'amour peut fleurir.

     

    Le silence, qui n’est pas un abandon, mais du respect, apporte la quiétude.

    La paix est l’heureuse conséquence de celle-ci.

    Une paix profonde, suave, régénératrice.

    Les conditions sont alors idéales pour l’éclosion du plus précieux des sentiments : l’amour.

    La quiétude n’a rien à voir avec le caractère insipide d’un parcours superficiel ou futile. Au contraire, elle est un délice, car elle est une source de réconfort, pour soi et pour autrui.

    La nuit dans le giron de Palmarola a été douce, incroyablement douce.

    Le sommeil était si délicieux que le soleil était déjà haut quand nos yeux se sont ouverts.

    Silencieux et très consentant, le jardin aromatique se laissait caresser par les rayons de lumière qui venaient courtiser la chlorophylle.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    Avec gratitude, nous avons découvert la quiétude du matin.

    Il n’y avait aucun bruit, sauf celui du clapotis.

    Le ciel était absolument limpide.

    L’eau était incroyablement transparente.

    L’envie de faire corps avec une telle pureté se révélait irrésistible.

    Faire corps en s’immisçant dans le moindre recoin.

    L’annexe avec ses rames devenait notre précieuse complice. Oui, l’annexe avec ses rames. Surtout pas de moteur ! Non seulement celui-ci choquerait par la grossièreté de ses pétarades, mais, en plus, il froisserait plus vite la surface calme de la mer.

    Le mouillage où nous étions était la Cala Brigantina.

    Le capitaine a commencé par explorer l’extrémité Sud-Ouest de la crique. Nous avons débarqué à la Punta di Mezzogiorno, une langue de terre recouverte de gros cailloux, qui tentait de ramener quatre îlots séparatistes, appelés Faraglioni di Mezzogiorno.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    Puis nous sommes allés faire la connaissance de ces rochers de l’indépendance.

    L’îlot le plus grand était baigné par une eau dont la couleur bleue était fantastique.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    La teinte blanchâtre de la roche nue, la profondeur de l’eau et l’incidence des rayons du soleil étaient de connivence pour produire cette magie.

    Quant à l’îlot voisin, qui se trouvait un peu plus au Sud, il se mirait, lui, dans une eau qui avait des reflets émeraude.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    En effet, la chlorophylle qui escaladait les pentes voulait aussi que sa présence soit évoquée au sein de l’azur mouvant des flots.

    Le périlleux passage entre ces deux îlots a reçu le nom de portella, « la petite porte ». Nous l’avons emprunté, non sans inquiétude, pour voir de plus près les deux autres îlots du groupe.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    En raison de leurs formes et de leurs positions, ils étaient appelés i fucili di Palmarola, « les fusils de Palmarola ». Leur couleur ocre se mariait à merveille avec les reflets tantôt turquoise, tantôt émeraude de l’eau.

    L’exploration de l’extrémité Sud-Ouest de la crique nous a grandement comblés. Le spectacle était splendide. Le suspens n’a pas nui à l’émerveillement, loin de là.

    L’inévitable conséquence était que le désir de fouiller l’autre extrémité, celle qui se trouvait au Nord-Est, s’est mis à nous assaillir férocement.

    Mais avant de jouer de nouveau au géologue, il fallait d’abord s’acquitter de la tache de rameur. Motivé et courageux, le capitaine s’est chargé de la propulsion. Ses efforts musculaires étaient immenses, mais il avait la courtoisie et la bonté de ne pas s’en lamenter.

    Nous nous sommes souvenus de la leçon apprise sur le GR20 de la Corse. Cette leçon disait que le beau faisait oublier la peine.

    Revoir le beau Zeph, qui nous regardait faire l’aller-retour avec les rames, nous a donné des forces supplémentaires.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    Contempler son profil avec du recul nous a dopés pour mener à bien notre aventure.

    Mais il existait une autre source du beau, que le capitaine a captée avec beaucoup de bonheur. Il s’agissait du spectacle que la blancheur des falaises produisait dans l’eau, qui avait encore sa pureté. Jugez-en par vous-même :

     

    L'élixir de la quiétude

     

    Émerveillé, récompensé, le capitaine a réussi à oublier les étirements et les contractions qui s’apprêtaient à devenir douloureux et insupportables.

    Au Nord-Est, un éperon rocheux, parallèle à la principale ligne des crêtes de l’île se dirigeait vers le bord incurvé de la crique, comme pour fermer celle-ci au pont de jonction.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    Mais en vérité, il n’y avait pas de jonction, car la barrière s’est arrêtée à quatre-vingt mètres de l’extrémité de l’arc, libérant ainsi un étroit passage entre la crique et le large.

    L’éperon rocheux, appelé Scoglio Suvace, était d’une blancheur éclatante. Cependant, l’insolite n’était pas dans l’éclat de la roche. Ce qui attirait le regard et fascinait l’esprit était une construction aérienne, juchée sur le piton rocheux d’en face.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    L’abri était rustique. Le confort, réduit. Néanmoins le lieu choisi et annexé offrait un panorama spectaculaire sur l’azur infini, dans une sublime quiétude.

    Était-ce une chapelle à ciel ouvert ? On pourrait le penser. À gauche de la toiture, une niche était sculptée dans la paroi rocheuse. Il s’y trouvait sans doute une effigie de la Madonna, qui guettait les appels au secours.

    C’était peut-être aussi la parodie d’une villa, construite pour des êtres qui recherchaient une retraite dans un écrin de pureté.

    Sur la gauche, vers le bas, apparaissait une langue de terre qui s’avançait dans l’eau. Ce quai improvisé, qui gardait encore des bouts d’amarres de couleur rousse, avait pour fonction d’accueillir des pieds de pèlerins extrêmement mystiques ou extrêmement fortunés.

    Dans un cadre aussi exceptionnel, tout bruit aurait l’air d’un chahut, tout bavardage ressemblerait à un vacarme, toute agitation aurait l’effet d’une bousculade.

    La quiétude n’aime pas le désordre. Elle n’aime pas non plus les secousses, ni au sens propre, ni au sens figuré.

    Le commandant Jacques-Yves Cousteau parlait des ressources d’un écosystème. Nous parlons de la poésie d’un site. Les approches sont différentes, mais les mêmes superlatifs couronnent l’aventure du savant et celle du poète.

    L’écrivain turinois Fabrizio Caramagna a déclaré ceci :

    « Il mare è più mare quando rumoreggia tra le onde, il cane è più cane quando abbaia, invece l’uomo è più uomo quando tace e ascolta il silenzio. Quando porge l’orecchio verso le cose che non hanno voce e sente tutto il loro mistero. »

     

    La mer est plus mer quand elle rugit au milieu de la multitude des flots, le chien est plus chien quand il aboie ; à l’inverse, l'homme est plus homme quand il se tait et écoute le silence. Quand il tend l'oreille à des choses qui n'ont pas de voix et entend tout leur mystère.

     

    La quiétude s’accommode mal de tout ce qui est gesticulation, bavardage et instabilité.

    C’est une question d’intériorité, de bien-être intérieur.

    La quiétude est un rendez-vous avec soi-même.

    La quiétude favorise l’authenticité, et réciproquement. La feinte n’y a point sa place. Le simulacre, non plus. Dans un écrin de quiétude, personne ne songe à jouer de la comédie, ni pour soi, ni pour autrui.

    En définitive, c’est quoi, l’élixir de la quiétude ?

    Ce n’est pas un produit externe.

    Point besoin de substrat alcoolisé où sont dissoutes des substances médicinales.

    L’élixir de la quiétude est la quiétude elle-même.

     

    L'élixir de la quiétude

     

    À l’instar du géologue romain Mario Tozzi, qui a écrit, dans son ouvrage «  L'Italia intatta » (L’Italie intacte) :

    « Sono innamorato di Palmarola. »

    Je suis amoureux de Palmarola ,

     

    nous disons :

    « Si, anche noi. Siamo innamorati di Palmarola, ancora per molto tempo ! »

    Oui, nous aussi. Nous sommes amoureux de Palmarola, pendant longtemps encore !

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