• Chronologiquement, l’apothéose a eu lieu à Bastia, Marseille et Saint-Tropez.

    Elle est multiple, mais nullement répétitive.

    Elle se voit dans le faste d’un dénouement et s’annonce immanquablement dans la progression qui y mène.

    Bastia, c’est l’histoire de la toute première « traversée ». Dans la bouche des résidents en métropole, la « traversée » ne peut être que celle qui se déroule entre le littoral de la Riviera et l’île de beauté. Ils en parlent avec emphase, comme si elle était comparable à celle qu’avait réalisée Christophe Colomb pour rejoindre le Nouveau Monde !

    Le Zeph, encore tout novice, ne pouvait qu’adopter le même vocabulaire et embrasser la même résonance linguistique. Il était dans l’air du temps de considérer la « traversée » comme un événement. Alors, le Zeph se laissait porter par la vision en vogue sur les pontons. Car c’était tout de même sa première expérience en haute mer, loin de tout phare, sans autre signal lumineux au milieu de la nuit que ceux de la voie lactée.

    L’arrivée au Cap Corse, aux premières lueurs du jour, était vécue comme une grande victoire. Victoire sur l’appréhension, l’incertitude et le doute.

    Avec une joie fébrile, le capitaine hissait le pavillon de l’île de beauté. Le vent, fébrile lui aussi, s’est mis à transformer ce moment joyeux en turbulence. Turbulence que le capitaine avait beaucoup de mal à gérer, à cause de ses mains blessées.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    La photo montre le pansement de l’index droit. Mais en vérité, les deux mains étaient blessées. Que dis-je ? Elles n’étaient pas blessées, elles avaient été impitoyablement lacérées, chacune au niveau des quatre doigts qui avaient voulu bloquer contre la paume l’écoute du spi, pendant que le cordage réclamait avec fureur une liberté totale et immédiate.

    Après avoir triomphé dans l’épreuve des miles nautiques, il fallait à présent réussir celle de l’intégrité corporelle. Le jour des soins prodigués avec efficacité par l’hôpital public de Bastia a été le jour de l’apothéose, car c’était le jour où la France commémorait sur tout son territoire la prise de la Bastille. Les Bastiais annonçaient un spectacle pyrotechnique de grande ampleur face à la mer.

    Pour être aux premières loges, le capitaine et le mousse ont pris place sur l’esplanade qui dominait le quai de la Madonetta et qui conduisait au phare vert.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    De là, on pouvait voir le port de commerce, qui était au Nord. Et juste derrière le port de commerce, un peu plus au Nord encore, c’était Port Toga, où était amarré le Zeph. Entre le Zeph et le phare vert, il y avait moins de deux kilomètres à vol d’oiseau.

    Des quais septentrionaux, émergeait le ballet des ferries. Le voyage renaissait en boucles polymorphes.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    Quand le ciel commençait à s’empourprer, l’ici-et-maintenant disputait la préséance au rêve d’ailleurs.

    Avec la montée des lumières, l’élégante silhouette de l’église consacrée à Jean le Baptiste devenait le point de convergence de très nombreux regards.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    Puis, quand toute la clarté diurne s’en est allée, le son-et-lumière promis est venu.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    D’immenses gerbes étincelantes s’élevaient au-dessus du phare rouge et de la jetée du Dragon, devant la Citadelle.

    Le site était prestigieux. Le spectacle était grandiose. Le confort de la vision était optimal. C’était l’apothéose.

    Si l’on met en perspective la navigation nocturne entre le continent et l’île, puis la promesse de guérison d’une chair brûlée par le frottement avec un cordage libertaire, et finalement le magnifique feu d’artifice au-dessus de la mer, on réalise sans peine le fascinant crescendo émotionnel qui menait à l’apothéose de Bastia.

    À première vue, cette apothéose était la conclusion de la « traversée ». Mais en fait, elle servait d’ouverture à un programme plus ambitieux. L’apothéose de Bastia était un signal très fort envoyé par les divinités pour encourager le Zeph à poursuivre sa route vers le Sud, en direction de la Ville éternelle.

    À Marseille aussi, l’apothéose s’apparentait plus à un prélude qu’à une conclusion.

    Le Zeph aimait se rendre à Marseille et y séjourner, parce que la place qui lui était attribuée se trouvait à un endroit hautement stratégique.

    De là où il était amarré, il bénéficiait d’un panorama circulaire, à 360°.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    En regardant vers la mer, il avait l’entrée du Vieux-Port juste devant lui, avec la colline de l’Université sur la même berge, et le Fort Saint-Jean de l’autre côté.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    Ainsi, le Zeph était aux premières loges pour contempler le flux incessant des embarcations qui entraient ou sortaient.

    En regardant vers la terre, il se délectait avec le spectacle des gradins qui s’élevaient vers la basilique Notre-Dame-de-la-Garde.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    Les tours crénelées de l’Abayye Saint-Victor ont toujours exercé une grande fascination sur le capitaine.

    À toutes celles et ceux qui étaient venus lui dire bonjour à Marseille, le Zeph vantait son privilège, sa chance et son bonheur.

    N’était-ce pas déjà l’apothéose ? Bien sûr, c’était l’apothéose à Marseille, chaque soir, à la montée des lumières.

    De cette apothéose sans cesse renouvelée, le Zeph ne s’en lassait pas.

    Mais pour le Zeph qui était lucide et reconnaissant, Marseille a réservé une très belle surprise, en lui préparant une apothéose sans égale, à l’occasion de la mue qui devait apporter plus de hauteur sous barrot et plus de stabilité.

    C’était le jour où le Zeph, remis à neuf et suspendu dans les airs, attendait l’épreuve de l’étanchéité. Jour de faste sans précédent quand le rideau s’est levé sur la scène de la cité phocéenne.

    Jusqu’à présent, les spectacles pyrotechniques qu’avait vus le le Zeph n’exploitaient que la dimension verticale. À Marseille, l’innovation était dans le ballet de la latéralité. Le grand axe du show était celui de la géologie de la calanque. Par des gerbes successives ou simultanées, le feu s’en allait du fond de l’anse vers son ouverture, puis en sens inverse, en passant devant le Théâtre de la Criée et la silhouette de Notre-Dame de la Garde.

    Une autre ressource de la latéralité était aussi savamment mise en valeur. C’était l’axe naturel qui marquait l’entrée du Vieux-Port, avec le Fort Saint-Jean au Nord et le Fort Saint-Nicolas au Sud. Des étincelles de joie allaient d’une fortification à l’autre pour célébrer leur complémentarité dans le panorama phocéen.

    Marseille a déployé le grand jeu pour la fête nationale. Avec la coïncidence des calendriers, le Zeph a vu dans l’apothéose phocéenne l’approbation des divinités pour la nouvelle existence sur les flots.

    À Saint-Tropez, l’apothéose était aussi un cadeau du calendrier.

    Pour fêter l’arrivée de 2019, nous avons voulu goûter à la dolce vita sur les lieux de tournage du célèbre « Et Dieu créa la femme ».

    Avant que des gerbes d’étincelles ne marquent le passage à l’an neuf, l’allégresse tourbillonnait déjà sur les façades du quai Suffren.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    Pour les navigateurs encore au large, le clocher de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption servait d’amer pour qu’ils rejoignent la fête.

    Devant le mythique Sénéquier, il y avait toujours l’ivresse de la vie : avant le feu d’artifice, pendant et après.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    Nous avons préféré être au plus près de la mer et des barges de tir. C’est pourquoi, nous nous sommes installés sur l’esplanade qui dominait le môle Jean Réveille.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    Et pour le bouquet final, le capitaine a fait sauter le bouchon de champagne au-dessus du muret du port de pêche.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    Nous avions prévu deux bouteilles de champagne. La première avait pour but de nous mettre en forme avant d’aller à la fête. La seconde devait nous procurer des sensations élyséennes au-dessus du môle Jean Réveille.

    Pour le Zeph, le bouquet final ne s’est pas évanoui dans le ciel de la Madrague. La magnificence de l’apothéose nous a accompagnés sur tout le chemin du retour.

    Et pour ne pas sombrer dans l’oubli, le bouquet final s’est métamorphosé en or sous la caresse du soleil, juste devant notre seuil tropézien.

     

    Le souvenir de l'apothéose

     

    Apothéose sublime pour saluer l’an neuf, grâce à une initiative géniale du capitaine.

    Bienveillance inespérée des divinités, qui ont créé un microclimat ensoleillé, chaleureux et festif.

    Comme à Bastia et à Marseille, l’apothéose tropézienne était le présage d’un temps de bénédictions. Elle annonçait au Zeph la réouverture de la route de l’Orient et le retour dans les eaux grecques.

    Bastia, c’était le couronnement de la première « traversée » et le premier son-et-lumière devant l’immensité de la mer.

    Marseille, c’était la première scénographie qui mettait en valeur, de façon intelligente et somptueuse, la topographie de la calanque.

    Saint-Tropez, c’était le premier feu d’artifice accompagné de champagne in situ.

    L’apothéose a eu lieu à domicile, chez soi, sans la nécessité de traverser la frontière.

    Le καιρός – ΚΑΙΡΟΣ était sur le pas de la porte.

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