• Aurore en mer ou sur terre ?

    Aurore en mer, évidemment, comme le veut le contexte de la navigation. Mais aurore aussi sur la terre ferme, même à 300 km de la Méditerranée. En effet, l’épisode décisif de l’expertise du Zeph s’est clos dans l’aurore qui se levait entre Rhône et Saône.

     

     

    Aurore fourbue, mais rassurante et prometteuse. Les entrailles étaient saines, l’ossature était solide. Charme de la parole de l’expert venu d’Antibes.

    Après la réussite de l’échographie vécue en direct, il restait une longue route à parcourir depuis Golfe-Juan, pour retrouver le domicile fixe à Lyon. Aurore vaillante, car il a fallu vaincre la somnolence au volant, et passer directement des préoccupations du chantier naval à la corvée du gagne-pain, sans transition aucune.

    Aurore rieuse. Pas d’euphorie, mais une douce griserie. Charme d’un projet de vie qui se présentait avec les meilleurs augures.

    Aurore magnifique aussi à l’autre bout du couloir rhodanien, côté iodé. Aurore bucolique, en terre camarguaise, là où le Zeph a élu domicile, entre joncs et plumeaux. Aurore onirique du côté de Port Napoléon. Charme d’une nature sauvage, d’une lumière inhabituelle.

     

     

    Aurore généreuse, qui répand sa lumière dorée sur le textile, le bois et le métal, qui réchauffe les coques entretenues comme les coques abandonnées.

     

     

    Aurore longanime, qui fait resplendir toutes les devantures orientées vers l’Est, y compris celles des prestataires qui s’acharnent sur un arbre d’hélice à coups de marteau pour le démonter, ou qui laissent des fuites après une révision de moteur.

    Aurore remplie de mansuétude, qui illumine toute forme de vie, même les herbes folles. Charme d’une bonté biblique.

    Aurore sur des bers, sur un ponton, au mouillage ou en haute mer.

    L’aurore en mer est intimement liée au crépuscule qui la précède.

    Quelle aurore pouvait succéder à la nuit d’horreur dans le golfe de Policastro, quand le vent hurlait à tue-tête et que les vagues s’acharnaient furieusement sur le flanc droit pour renverser le Zeph ? Une aurore exténuée et fiévreuse par manque de repos, mais miraculée parce qu’il n’y a pas eu d’avarie. Pendant des heures et des heures, le Zeph était violemment rudoyé. Le Zeph a beaucoup tremblé, l’équipage aussi. Mais personne n’est tombé à la mer, personne n’a été blessé. Pas d’inondation, pas de casse. Aurore tremblotante, parce que les secousses interminables de la nuit envahissaient les entrailles de tous, mais aurore salvatrice parce que tout le monde est indemne. Charme de la vie saine et sauve.

    Au fil des heures, le cauchemar de Policastro s’estompait quelque peu. En fin d’après-midi, le Zeph remontait la presqu’île de Sorrento en direction du golfe de Naples.

     

     

    Dans la belle lumière du couchant, il caressait le rêve de dormir, ce soir-là, chez Antonino, qui l’avait si bien accueilli à Noël, sur le ponton médian de Piano di Sorrento.

     

     

    La soif engendre des mirages dans le désert. L’épouvante à Policastro a engendré le mirage de Piano di Sorrento.

    Pas d’Antonino au ponton escompté. Aucune silhouette aux aguets. Que des coques luisantes sous les lampadaires du port archi-bondé.

    Le Zeph a alors pensé aux falaises éclairées par la lumière verte, qui l’avaient accueilli le premier soir, à l’époque de Noël. Peine perdue ! À peine amarré, il devait déguerpir car les propriétaires de la place vacante étaient venus avec leur bateau à ce moment-là.

    Ultime chance pour goûter l’aurore à Piano di Sorrento : l’emplacement devant la station à essence, en suivant les suggestions d’Alberto. Mais là encore, rien n’allait. Le sondeur disait que le Zeph n’était séparé du fond que de quelques centimètres. Affolé, le capitaine a préféré s’en aller sur le champ.

    Panique et désespoir. Où aller ? Que faire au milieu de l’obscurité angoissante ? Survivrait-on à une deuxième nuit sans sommeil ?

     

     

    Le capitaine s’est mis à faire demi-tour et à entrer dans le port le plus proche. C’était la Marina Piccola di Sorrento. L’épuisement faisait éclore mille écueils phosphorescents dans l’eau. Mirages causés par l’effroi, parce que le fonctionnement du cerveau s’émiettait. L’on a fini par s’amarrer au débarcadère des ferries, sous le regard inquiet des pêcheurs nocturnes. Aucun d’entre eux ne savait si ce que faisait le Zeph était autorisé ou toléré. Prudent et scrupuleux, le capitaine est allé demander asile auprès de la Guardia Costiera, qui nous l’a accordé. Les divinités ont fini par avoir pitié du Zeph.

     

    Le charme de l'aurore

     

    Deuxième aurore miraculée, octroyée par une hospitalité providentielle.

     

    Le charme de l'aurore

     

    Dans l’aurore qui chantait la miséricorde du destin et la solidarité des hommes de la mer, les pins qui couronnaient la falaise devenaient plus gracieux, et la silhouette du Vésuve, qui sculptait l’horizon, semblait plus séduisante.

     

    Le charme de l'aurore

     

    En navigation, il n’y a pas que des lendemains de détresse, il y a aussi des lendemains d’allégresse.

    Pour sa première traversée entre continent et Corse, le Zeph a prévu de s’élancer de Nice, à la tombée de la nuit. Seulement, dans l’après-midi qui a précédé le grand départ, il a offert une réception à quatre résidents de Saint-Paul-de-Vence, liés au capitaine par le sang maternel. Après-midi de fête, sans restriction aucune, surtout par rapport au temps, jusqu’au crépuscule, éblouissant d’insouciance et d’euphorie. Il était 21 heures quand les invités étaient partis. Ivre de bonheur, le Zeph s’est mis à sonder son réservoir de carburant. Il faudrait faire le plein. Hélas, la station d’essence était déjà fermée. Il faudrait attendre jusqu’à demain matin. Aurore tout à fait imprévue.

     

     

    Au moment de faire le plein, le Zeph voyait les ferries de la Corsica se bousculer à l’entrée du port. Dans très peu de temps, il se lancerait à son tour dans la fameuse traversée !

    L’aurore niçoise était radieuse, fière et heureuse d’être le prolongement d’une consolidation du lien social. Charme de l’improvisation qui privilégiait la relation affective plutôt que le compteur de miles marins.

    Certaines aurores sont tributaires d’obligations : obligation de sortir du golfe de Policastro, obligation de respecter le délai accordé par la Guardia Costiera en partant avant 7h, obligation de quitter Nice à temps pour profiter de la fenêtre météo.

    Mais il existe aussi des aurores affranchies de toute obligation. Celles qui ponctuaient les 188 miles parcourues d’une seule traite entre Crotone et Vibo en faisaient partie.

    Aurore câline, enjouée, bénie. Charme exquis de l’autonomie.

     

     

    Aurore séductrice. Charme de la liberté magnifiée.

    L’on pourrait penser que le délice était dans l’éloignement. Plus précisément, le délice était dans la jouissance de l’éloignement. Pour qu’il y ait jouissance, il faut qu’il y ait réjouissance. Et pour qu’il y ait réjouissance, il faut avoir approvisionné les cales et rempli les caves. Charme d’une sage prévoyance.

    Aurore dansante, avec la bonne humeur de la mer et du vent.

    L’on se souvient que l’histoire de l’aurore s’écrit déjà dans le crépuscule qui précède. Le principe s’est vérifié encore une fois. L’aurore était agréable parce que la veille, un ex-voto fleuri avait été offert aux divinités.

    Aurore sublime à l’entrée du détroit de Messina, avec le profil majestueux de l’Etna.

     

     

    Aurore expansive en compagnie de l’infini.

    L’aurore appelle l’aurore. Charme auto-stimulant et auto-fécond. Reprendre la mer et goûter l’aurore deviennent addictifs. C’est ainsi que sitôt arrivé à Olbia, en Sardaigne, le Zeph en était reparti, malgré tous les projets antérieurs en faveur d’un séjour sarde.

     

     

    Aurore aventurière. Charme de la mobilité pour réitérer le flirt avec l’infini.

    Certes, il y a eu des aurores douloureuses. Mais aucune n’avait l’humeur chagrine. Toutes étaient pythagoriciennes, au sens où toutes étaient animées du très vif désir d’aller de l’avant.

     

     

    Toutes les aurores vécues par le Zeph étaient portées par la ferme volonté de faire de chaque jour nouveau un jour resplendissant.

     

     

    Aurore aux mille visages, aux mille sensations, pour célébrer la vie polymorphe et ses maints rebondissements.

    Charme de la combativité. Charme de la vie véritable.

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