Le fil de pêche de Denys

 

Qui est-ce Denys ? Est-ce l’homme qui est debout, dans sa barque, et que l’on voit sur l’une des photos récemment envoyées par l’Aventy ? L’envoi comporte douze vues de l’archipel des Kornati. La sixième photo montre un homme en train de pêcher dans la Mer Adriatique. Il décide seul de ce qu’il a à faire. Sa position verticale le rend visible de loin. Il est préoccupé par ce qu’il peut capturer dans les eaux qui baignent l’archipel des Kornati. Toutes ces caractéristiques sont bien celles de Denys : un profil remarquable et remarqué, un pouvoir décisionnel sans partage, des ambitions bien affichées à l’égard de l’Adriatique.

En vérité, Denys était un Grec de Syracuse. La transcription française a gardé les trois premières consonnes de son nom d’origine, qui en comptait quatre : Διονύσιος – ΔΙΟΝΥΣΙΟΣ, presque comme avec le dieu de la vigne, Διώνυσος – ΔΙΩΝΥΣΟΣ. Dans l’histoire de la Méditerranée occidentale, le Syracusain est appelé Denys l’Ancien, Διονύσιος ὁ Πρεσβύτερος – ΔΙΟΝΥΣΙΟΣ Ο ΠΡΕΣΒΥΤΕΡΟΣ.

 

 

 Denys l’Ancien a régné, il y a vingt-cinq siècles, sur Syracuse. Il a offert à sa cité puissance, opulence et renommée. Malgré ses réalisations remarquables en matière de génie militaire, de stratégie d’alliance, de politique commerciale et de développement culturel, nombre de ses contemporains le détestaient, parce qu’il pratiquait la tyrannie.

L’ennemi de toujours de Denys l’Ancien et de sa cité était Carthage, au Sud-Ouest. Le Syracusain a mis toute son énergie et son talent à débarrasser la Sicile du joug carthaginois.

 

 

 La force de frappe de Denys l’Ancien était sa puissante flotte, composée de 200 navires, dont beaucoup étaient des trirèmes et des quinquérèmes. Force de dissuasion, d’intimidation, de répression, de rétorsion, de revanche.

 

 

 Mais l’ennemi est ambitieux et coriace : Carthage a aussi implanté des comptoirs dans le bassin septentrional de la Mer Tyrrhénienne. Et l’objectif de Denys l’Ancien était d’enlever l’île d’Elbe, la Corse et la Sardaigne de la tutelle carthaginoise pour les mettre sous le contrôle de Syracuse. Pour combattre l’hégémonie carthaginoise, Denys l’Ancien proposait l’hégémonie grecque.

Que Denys l’Ancien s’agite et s’investit dans la Mer Tyrrhénienne, c’est tout à fait compréhensible, car cet espace marin est le débouché tout naturel du Détroit de Messine, quand on remonte vers le Nord.

 

 

 Mais que venait faire Denys l’Ancien dans l’Adriatique ? Quel genre de prises espérait-il obtenir ? Le fil de pêche de Denys l’Ancien était élaboré, ramifié, structuré et efficace pour ne rater aucun morceau de choix.

 

 

Denys l’Ancien ne recherchait ni les tortues, ni les dauphins qui font la fierté écologique des eaux paradisiaques, si vantées de nos jours.

 

 

 Le Syracusain voulait des prises qui lui assuraient grandeur et puissance.

Denys l’Ancien était un Grec. De l’Ouest, certes. Mais, un Grec, quand même. Et tous les Grecs étaient convaincus que l’omphalos, c’est-à-dire le nombril du monde se trouvait à Delphes. L’accès au site ombilical était primordial, surtout pour un champion de l’hellénisme tous azimuts. Accéder au trésor, et spirituel et matériel, de Delphes pour créer une aura de toute-puissance au sein du monde grec d’alors, pour se faire craindre de tous les Grecs sans exception, des Grecs de l’Occident comme des Grecs de l’Orient.

 

 

 Denys l’Ancien, qui a toujours été au cœur de l’activité politique et militaire de l’époque, ne pouvait pas se permettre d’être éloigné du centre le plus prestigieux de la culture grecque. Mais comment y accéder sans avoir à attendre le bon vouloir d’Athènes, de Corinthe ou de Sparte, qui contrôlaient les accès par l’Est et le Sud ? Pour ne dépendre de personne, il fallait se rendre maître de la route du Nord-Ouest, qui passait par l’Épire. D’où la nécessité d’établir des bases fiables dans l’Adriatique.

 

 

 C’est ainsi que Denys l’Ancien a utilisé sa puissante flotte pour fonder des colonies, comme à Lissa. Il a même volé au secours d’autres colons grecs, comme ceux venus de Paros, qui se sont vus assiéger par des autochtones hostiles à la colonisation grecque, et qui ont été délivrés grâce au profond sentiment de solidarité qui animait le Syracusain, ardent défenseur de la cause panhellénique.

 

 

 Fraternité inter-hellène opérationnelle à tout moment sous la bannière de Denys l’Ancien. Des inscriptions grecques sur l’île de Pharos, devenue l’actuelle Hvar, évoquent encore de nos jours cette intervention fracassante des Syracusains, qui était une démonstration de la politique de prestige menée par Denys l’Ancien.

 

 

 L’on se souvient de la photo de la Lamborghini, qui concluait l’envoi consacré aux adieux syracusains de l’Aventy.

 

 

 Personnage haut en couleurs, figure de proue flamboyante de l’expansionnisme grec, Denys l’Ancien n’aurait pas désavoué ce geste de l’Aventy. Loin de là ! Il en serait même très, très ravi, parce que la photo reflète la manière dont il exerçait son pouvoir. Recours au clinquant, exhibition de panache, séduction par la puissance.

 

 

 Pendant cinq semaines, l’Aventy était donc dans le sillage de Denys l’Ancien, de Syracuse à l’archipel des Kornati.

 

 

 Les divinités ont envoyé des présages pour confirmer que la destination ultime et véritable de l’itinéraire conscient de Denys l’Ancien et du chemin inconscient de l’Aventy était Delphes.

 

 

 Témoin cette tête hilare d’un dauphin tout heureux, que l’Aventy a remarquée avant d’arriver à Crotone. Le souvenir de cette rencontre est inscrit dans la quatrième photo de l’envoi consacré à Santa Maria de finibus terrae.

 

 

 En suivant le sillage de l’Aventy, le Zeph se laissait bercer dans le giron syracusain, et s’émeut de retrouver le rayonnement delphique.